Judith Soula : Vous allez disputer votre première finale de championnat de France. Quel sentiment vous anime après ce week-end breton plutôt riche en émotion ? Jacky Lorenzetti : C'est un sentiment de joie, on a pris un petit acompte avec la finale de Coupe d'Europe, malheureusement on a perdu. Je ne vais pas dire qu'on est préparé, mais on a senti un peu la poudre de ces grands évènements. On est très heureux d'y être et on a hâte d'en découdre. Le match va se dérouler devant une centaine de milliers de spectateurs, c'est un enjeu supplémentaire. Je pense que tous nos joueurs et nous-mêmes, on est plutôt transcendé.Vous le disiez, c'est une deuxième finale cette saison pour vous. La finale de Coupe d'Europe perdue peut vous servir au moment d'aborder la finale du Championnat de France ? Collectivement, peut-être. On a quand même dans notre effectif un certain nombre de joueurs expérimentés qui ont joué des Coupes du Monde, des tournois des Six Nations, qui ont déjà été champion de France ou champion d'Europe. Individuellement, on a une bonne expérience. Après collectivement, c'est sur qu'on peut en tirer quelques enseignements de cette coupe d'Europe. Je pense que contre Toulon ce ne sera pas de trop.
"Mourad est plutôt dans la paillette"
Justement, vous retrouvez Toulon, votre cher ennemi. On sait qu'avec le président Mourad Boudjellal vous aimez bien vous taquiner, vous êtes très chiens et chat. Il vous avait qualifié de son "Poulidor". Est-ce que vendredi soir, l'élève est prêt à dépasser le maître ? Je crois qu'on n’est pas dans le même projet d'entreprise. Nous, on est plutôt sur une stratégie sur le long terme, voire le très long terme avec l'Arena qui va arriver. Comme je l'ai déjà dit, Mourad est plutôt dans la paillette. Ceci dit, il a très bien réussi trois coupes d'Europe et un championnat de France, il n'y a rien à dire. Après nous on est plutôt sur la formation et lui plutôt sur le recrutement de joueurs étrangers. On est heureux de retrouver le club de Toulon, même si de temps en temps on se chamaille un petit peu avec le président, parce que c'est une grande équipe et que je pense que l'un et l'autre on a envie de montrer, en contrepoids d'un certain rugby-bashing, que le rugby français existe bien et qu'on sait encore jouer au rugby en France. Quand de nombreux journalistes spécialistes parlent de l'année du Racing, qu'est ce que vous vous dites ? Il faut être humble, je me rappelle aussi qu'en début de saison lorsque Dan Carter est arrivé, beaucoup de journalistes se posaient des questions, il est trop vieux, il est blessé, qu'est ce qu'il va donner... Aujourd'hui, on s'aperçoit qu'il répond à certaines de nos attentes, sur le terrain et en dehors du terrain.
"Être vice-champion, c'est terrible"
Vous attendez encore plus de lui pour la finale ? Ça n'a pas été le cas pour la finale de la Coupe d'Europe où Dan a été un peu handicapé. On a pris le risque calculé de le faire jouer, ça a créé aussi une petite polémique, mais je pense que les coachs ont bien fait de prendre ce risque. Il commence à bien revenir, son match contre Clermont était encore meilleur que celui des barrages. On pense qu'il sera encore meilleur en finale. En effet, on attend de lui, comme d'autres joueurs d'ailleurs, ils sont quand même 15 sur le terrain, et même 40 avec tout ceux qui ont participé à cette belle aventure. Je pense que lui, comme les autres, a envie de terminer bien la saison. Avec deux finales, la saison est déjà réussie ? Oui, avec deux finales, on peut dire que c'est une belle saison, je crois que c'est une réalité. Après, être vice champion c'est terrible parce que ça rappelle qu'on n'a pas été mauvais, qu'on a été plutôt bon, mais ça rappelle aussi qu'on a perdu. L'idéal évidemment c'est de terminer avec un titre. On sait que vous aimez passer la journée de la finale près de vos joueurs. Vous observez, vous parlez, quel est votre rôle à ce moment-là ?Je ne suis pas un président intervenant au niveau sportif. Je laisse les coachs qui sont bien meilleurs que moi faire leur travail. Je crois qu'il faut savoir laisser aux joueurs beaucoup d'intimité. Je suis, par exemple, pas très favorable à ce que Canal filme dans les vestiaires. Il y a des choses qui n'appartiennent qu'aux joueurs, il y a des choses qu'on se dit, qu'on échange, et de jeter tout ça en pâture au média me gêne un peu. Je suis très respectueux de leur intimité, je pense qu'ils ont besoin de se concentrer. C'est une échéance avec une pression maximale. Je pense qu'il est bien que je reste à ma place de dirigeant, je suis là, s'ils ont besoin ils me voient. Mais sinon, ils ont le match à préparer et c'est beaucoup plus important que le reste.
"Quand on est dans un sport, c'est pour gagner"
Vous avez beaucoup de pression ces jours-là, vous le sentez ? Je suis toujours sous pression, des fois ça m'arrive de laisser péter le couvercle comme j'ai pu le faire vendredi soir. Sinon, on est tous engagés, on est là pour gagner. Tous les collaborateurs du groupe, que ce soit la branche viticole, l'immobilier ou la finance, on est tous hyper motivé, on fait corps avec le reste de l'équipe. C'est formidable que le sport nous ait apporté tout ça à l'entreprise.Après la victoire vendredi soir, vous êtes monté sur la table dans les vestiaires pour chanter avec vos joueurs, d'ailleurs, Mourad Boudjellal vous a imité le lendemain.Je ne sais pas s'il a eu le même déhanché que moi par contre. Pour conclure, vous avez le sentiment avec deux finales cette saison, d'avoir gagné le respect, d'être devenu une grande équipe ? Non, je crois que quand on est dans un sport, c'est pour gagner. Je ne crois pas que ce soit uniquement pour participer. En Top 14, je pense que même Oyonnax ou Agen cette année ont des envies de victoires. Je pense qu'il faut gagner pour exister dans tous les sports, dans toutes les compétitions. On ne va pas se contenter de deux finales, même si c'est un grand pas avant. On espère aller plus loin encore.