Agnès Naudin se rendait-elle compte du risque de sanction de la part de sa hiérarchie au moment de publier ses livres ?
Agnès Naudin : "Je pensais avoir fait le nécessaire pour anonymiser tout dans le livre"
"J’ai été révoquée pendant un an pour violation du secret professionnel parce que j’ai raconté dans mes livres des histoires qui étaient en cours d’instruction. Donc, ça n’avait pas de lien direct avec mon activité en tant que policière, mais plutôt en tant qu’écrivaine. Il y a une confidentialité, un secret qui s’impose à tous les acteurs de cette procédure-là. Je pensais avoir fait le nécessaire pour anonymiser tout dans le livre. Manifestement, ce n’était pas le cas. Après, je pense avoir été la seule flic de France à avoir été révoquée, c’est-à-dire à avoir eu la sanction la plus lourde pour des faits de violation du secret professionnel. D’ailleurs, les médias sont les premiers receleurs du secret de l’instruction.
Quand j’ai écrit ces livres, j’ai pensé qu’il y avait un risque, mais j’ai pensé avoir fait tout le nécessaire – prendre tous les conseils, faire toutes les relectures qu’il fallait pour que ça passe – ça n’est pas passée. Je suis condamnée en première instance en mai 2023, et c’est de cette condamnation dont ils se sont servis pour, en parallèle, faire une procédure administrative. J’ai fait un recours pour cette révocation, et le tribunal de Paris a estimé que cette sanction était disproportionnée au regard des faits. Cette révocation est peut-être la manifestation de la volonté de mon employeur de me faire sortir des rangs, peut-être pour d’autres raisons", raconte Agnès Naudin.
Agnès Naudin évoque aussi la difficulté qu’elle a eue à trouver un éditeur. "Il faut savoir que quand on a écrit un roman mais [qu’on sait qu’on y raconte le réel], c’est comme les agriculteurs et la grande distribution : ce produit, on ne sait pas dans quel rayon le mettre, et on préfère ne pas le mettre."
"Quand on est dans son quotidien, on n'est pas forcément conscient de ce qu'on vit"
Pourquoi beaucoup de gens préfèrent-ils ne pas entendre parles des cas de maltraitance de mineurs ? "Je pense qu'il y a plusieurs choses. La première déjà… Et vous, vous contribuez fortement à ça en tant que média… c'est qu'on ne parle que de ce qui se passe pas bien. Donc, il y a un matraquage en permanence dans les médias de ce qui se passe pas bien. Les gens sont dans leur vie, avec leurs préoccupations quotidiennes, leurs problèmes en règle générale. Et les médias passent leur temps à, en plus de tout ce qu'ils vivent, à rematraquer quelque chose, en ne laissant aucun échappatoire à ‘où est-ce qu'il y a un peu de lumière quelque part où on pourrait éventuellement s'épanouir’. Donc déjà, il y a ce phénomène-là qui contribue.
Et le deuxième, qui procède exactement de la même manière, c'est que quand on est dans son quotidien et qu'on n'est pas forcément conscient de ce qu'on vit, et donc c'est des questions qu'on ne veut pas se poser, on ne veut pas voir la nature humaine telle qu'elle est puisqu'on en fait partie. Et donc, se poser sur ces sujets-là et les regarder, c'est aussi accepter de regarder la réalité en face et de voir que nous, on fait aussi partie de ça.
Quand je dis qu'on fait partie de ça, c'est-à-dire que même les criminels et même les pédophiles, ce sont aussi des humains, ils font partie de notre humanité. Et donc, voir que l'humain peut arriver jusque-là, ce n'est pas possible pour eux, ils ne peuvent pas franchir ce cap-là, parce que parfois ça peut remettre en question. Et alors là, on est en plein dedans. Et c'est souvent le cas dans les secrets de famille. Parce que la problématique des pédophiles et de tout ce qui concerne les mineurs, la majeure partie du temps, c'est le secret de famille. Donc en fait, ils sont déjà dedans. Soit ils sont dedans et le fait de regarder ça, ça leur rappelle. Ils sont dedans, et c'est très dur pour eux. Donc, en fait, on touche au cœur du plus intime. Et c'est souvent là où on n'a pas du tout envie d'aller regarder, parce que c'est difficile, parce qu'il faut faire un certain nombre de choses et qu'aujourd'hui on ne veut plus prendre de risques", a expliqué Agnès Naudin.
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