Chantal Delsol, philosophe, auteur de Le crépuscule de l’universel, éd. du Cerf, est l'invitée du Face-à-face d'André Bercoff pour analyser la démocratie d'aujourd'hui.
"La démocratie est un régime fragile"
Pour Chantal Delsol, "la démocratie est un régime fragile, difficile à maintenir parce qu'il n'est pas si naturel que ça." Or, "on ne fait pas assez d'efforts pour le maintenir", ce qui explique qu'on soit aujourd'hui dans "une démocratie dégradée, à plusieurs niveaux." Ce pour deux raisons principales. "D'abord parce qu'il y a une technocratie très vivace, une élite qui s'imagine que c'est elle qui dit le bien commun. Dans la démocratie le bien commun est dit par le bon sens populaire, qui est souverain, ça ça dégrade la démocratie." "Le deuxième problème c'est que la démocratie finit par être le respect d'une certaine idéologie post-moderne. C'est aberrant de prétendre qu'Orban n'est pas un démocrate parce qu'il n'accepte pas le mariage pour tous, la démocratie c'est le respect du bon sens populaire."
Pour autant, la démocratie n'est pas supprimée, notamment grâce à la liberté d'expression et de pensée. "Actuellement la liberté de conscience est plus grande qu'elle ne l'a été, la France c'est pas un pays tolérant par nature. Il y a quarante ou cinquante ans, quand la quasi-totalité des intellectuels français étaient marxistes, la liberté de penser était très très mince, on n'en est pas là, on peut quand même encore discuter." On retrouve malgré tout cette impossibilité de s'exprimer sur certains sujets, notamment l'avortement. Avec son inscription dans la Constitution, "on ne pourra plus remettre ça en cause, voire on ne peut plus discuter." Une évolution dont Chantal Delsol ne voit pas l'intérêt car "je ne vois pas comment une maigre troupe de cathos en France pourrait prendre le pouvoir et interdire l'IVG."
"Les démocraties occidentales ne sont plus acceptées"
"À partir de la guerre ou de l'après-guerre il y a eu une démolition systématique de tous les dogmes chrétiens, on a eu cette espèce de dilapidation générale, pendant ce moment-là tout était possible, on ne faisait que démolir. On ne peut pas rester dans cet espèce de nihilisme flottant, il s'est recréé des structures de permis ou de défendu, et maintenant on est en train de recréer une intolérance. Vous avez des interdits qui ne sont plus les mêmes mais vous en avez encore." "Il y a une volonté féroce de balayer tout ce qui est chrétien parce que tout ce qui est chrétien a été intolérant et certains ont peur, ou jouent à se faire peur, que ça revienne." De fait, "quand les chrétiens prennent le pouvoir ils font un peu n'importe quoi dans l'autre sens. Ces gens ne cherchent pas l'équilibre."
Face à ce changement des valeurs occidentales, "les démocraties occidentales ne sont plus acceptées par un certain nombre de pays de l'extérieur." "La civilisation occidentale est la seule qui ait énoncé ce qu'elle appelle un universel, qu'elle a diffusé partout. C'est l'histoire des occidentalistes et des slavophiles en Russie : on est d'accord pour la science, pour la critique, pour la tolérance, mais d'un point de vue sociétal vous allez trop loin." "C'est ça qui provoque l'anti-occidentalisme, c'est un dévoiement des symboles, je comprends très bien que certaines cultures ne l'acceptent pas."
"La morale est devenue une religion"
"On est devenu par certains côtés un peu cinglés", explique Chantal Delsol. Après avoir vécu selon "une espèce d'excès, d'exagération" de normes, les Occidentaux ont voulu les rejeter. "Maintenant bonjour pour trouver les limites." D'autant qu'elles ne peuvent plus être basées sur des principes religieux. "Nous sommes dans une époque victorienne, avec le monopole de la vertu. La religion a été remplacée par la morale, la morale est devenue une religion. Vous avez des père-la-vertu à tous les coins de rue."
Pour autant, Chantal Delsol est optimiste sur l'avenir de l'Occident. "Beaucoup d'autres croyances vont se former. Je ne suis pas pessimiste parce que j'ai confiance dans la naissance de nouveaux êtres qui vont restructurer le monde comme nous n'imaginons pas." Sans compter que les interdits sont à nuancer. "Il n'y a pas de société dans laquelle on peut tout dire" : "il y a moins de critiques du patriotisme qu'il n'y avait il y a vingt ans ou trente ans. Il y a 80 ans vous pouviez être dénoncés parce que vous aviez fait l'éloge de l'homosexualité."
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