Pour Chantal Delsol, définir la démocratie, "c’est compliqué en deux mots". "Si on parle par exemple de définition de Claude Lefort, c’est un système qui ne peut fonctionner que lorsque l’on ne croit pas à une vérité définitive, lorsque l’on croit que chacun a sa manière d’interpréter le monde et lorsqu’on croit que le bien commun n’est pas une vérité définitive qui puisse être donnée soit par un sage, soit par un technicien. Il y a donc un débat au sujet du bien et du vrai", explique la philosophe.
"Il me sembla que dès le départ", juge Chantal Delsol, "nous sommes d’accord sur quelque chose de très important". "C’est le fait que la technocratie, ce n’est pas la démocratie. Il ne s’agit pas de prétendre que l’on est un homme de science et pour cela on gouverne bien. Cela ne marche pas. C’est anti-démocratique. Je crois que c’est là-dessus qu’on est parti pour dire que la démocratie est en danger parce que la démocratie se confond de plus en plus avec la technocratie. On le voit d’ailleurs avec Emmanuel Macron", juge la co-auteure de Ainsi meurt la démocratie.
"Il y a dans cette pratique démocratique quelque chose de très anxiogène"
"Je suis d’accord sur le fait que la démocratie moderne, surtout, est en proie à l'incertitude", exprime de son côté Myriam Revault d'Allonnes. "Il y a un débat, ou plutôt, il devrait y avoir un débat absolument permanent sur ce qui est juste, ce qui est injuste, sur ce qui est mal, ce qui est légitime, etc. Il y a dans cette pratique démocratique quelque chose de très anxiogène, quelque chose de très angoissant. Angoissant parce que tout est constamment remis en question. Le citoyen, ce n’est pas celui qui au fond adhère une fois pour toute, par confort, soit à une vérité préétablie, soit à un système, mais celui qui normalement, en toute rigueur devrait exercer sans arrêt cette réflexion", juge-t-elle.
"Je suis d’accord avec Chantal pour dire que l’une des façons au fond de canaliser cette incertitude, c’est de mettre les technocrates au pouvoir, c’est-à-dire des gens qui prétendent savoir. C’est une position qui était déjà d’une certaine façon la position de Platon. Celle-ci consistait à mettre les sachants au pouvoir. Pour Platon, il n’y a pas seulement l’idée du philosophe roi, il y a en général l’idée qu’au fond ceux qui exercent le pouvoir, ce sont ceux qui savent. À partir de ce moment-là, au fond, la politique c’est un problème technique, ou un problème de gestion", explique Myriam Revault d’Allonnes.
"Pour Tocqueville, la démocratie c'est une forme de société"
Pour Myriam Revault d'Allonnes, "pour être en démocratie, il y a un certain nombre de conditions, qui sont", selon elle, "des conditions formelles". "Il s’agit de l’existence d’un état de droit, de la séparation des pouvoirs, etc. En fait des choses qui sont de l’ordre juridico-politique, des institutions, sur lesquelles on peut s’accorder, comme par exemple la reconnaissance des libertés publiques".
"Pour moi, la démocratie, c’est quand même autre chose", continue-t-elle. "Je me souviens que Tocqueville disait que la démocratie c’est une forme de société. Il ne s’agit pas seulement d’un régime juridico-politique mais je dirais presque une manière de vivre ensemble. On dit sans arrêt : ‘faire société’, ‘faire du commun’, etc. Cela recouvre quelque chose qui est, je crois, très juste. Dans la démocratie, il y a des passions, il y a des sentiments, il y a des affectes. Je suis très attachée au fait que l’exercice de la citoyenneté ce n’est pas simplement des droits formels ou une obéissance à des devoirs mais c’est aussi quelque chose qui est de l’ordre de la réciprocité", explique-t-elle.
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