Après une élection présidentielle, on ressentait jusqu’à présent une certaine forme d’insouciance, pendant un temps assez court certes, mais le sentiment était bien présent. Au lendemain du dernier scrutin présidentiel, qui a vu s’opposer une fois encore Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette forme d’insouciance est absente du paysage actuel. Les difficultés économiques et le contexte international n’y sont évidemment pas pour rien. Dès lors, peut-on dire que les Français sont malheureux ?
Emmanuel Macron, ou l’échec du "dégagisme"
Pour le politologue Marcel Gauchet, le malheur français existe bien. Il a émergé durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, sous des formes diverses. Ce premier quinquennat, plein de promesses, emprunt de "dégagisme", a finalement résulté pour Marcel Gauchet de la prise de conscience de l’impasse dans laquelle se trouve la classe politique à trouver des remèdes pour une société malade. Emmanuel Macron avait pourtant incarné la promesse de sortir de cette impasse. Que peut-il faire à l’aube de ce nouveau mandat ? Quelles leçons tirer du premier mandat ? De ses échecs ?
"Tout va bien pour lui du point de vue électoral. On verra du point de vue politique. Le paradoxe de cette élection, c’est que c’est l’échec qui a fait la réussite de Macron. Il y a des réussites qui procèdent d’un échec. Il n’a pas réussi à transformer la France comme il nous l’annonçait, ni retirer aux Français les motifs de voter pour les extrêmes. Mais à la faveur de cet échec, il a gagné un nouvel électorat. Il est devenu le candidat du statu quo, le président des retraités" explique Marcel Gauchet au micro d’André Bercoff.
Emmanuel Macron, d’outsider à candidat du système
Dans son dernier livre, Marcel Gauchet revient sur les lendemains de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Ce qui permet de pointer de nombreuses différences avec 2022. "En 2017, Emmanuel Macron est l’homme nouveau, l’outsider absolu qui fait irruption dans un jeu politique que l’on croyait verrouillé. En 2022, c’est le candidat politique absolu, celui qui fédère tout le milieu politique. C’est l’homme du système. On ne peut pas imaginer de contraste plus fort, la seule personnalité politique crédible de ce système" lance-t-il sur Sud Radio.
Emmanuel Macron a donc absorbé tel un trou noir, toutes les galaxies politiques françaises. Se pose néanmoins la question de la légitimité, en dépit du suffrage universel direct. "Cette solitude extrême d’un pouvoir ultra-personnel, totalement concentré dans l’entourage d’un homme seul, pose un problème au regard de la philosophie démocratique. Le régime gaullien ne devait son équilibre qu’à un système qui n’était pas officiel, mais très fort : la puissance des réseaux notables, les barons du gaullisme. Ils constituaient une sorte d’équilibre naturel à un pouvoir trop personnel. De Gaulle laissait jouer un rôle à ces notables. Ce qui est en train de se passer, c’est qu’il n’y a plus de classe politique locale et territoriale. Il n’y a plus de personnage politique notable" lance le politologue, pour qui le système actuel est un "système de vedettariat absolu".
Le sentiment de résignation des Français
Le système va mal. Mais il ne bouge pas. Il ne peut pas bouger. Pour Marcel Gauchet, "si on enlève l’élection présidentielle aux Français, alors qu’elle pose problème, que leur reste-t-il comme corde de rappel vis-à-vis de la classe politique ?". Rien. Une classe politique qui est elle-même en liquéfaction, en témoigne le dernier scrutin. "C’est une évolution très française. Il n’y a pas d’équivalent à l’étranger. Probablement faut-il incriminer en dernier ressort une décentralisation mal conçue, une mauvaise articulation des niveaux de pouvoir entre eux, qui a fabriqué une classe politique anémique, des figurants. Il faut ajouter une société individualisée où tous les corps intermédiaires se sont eux-aussi liquéfiés : les syndicats, l’Eglise catholique etc…" s’interroge le politologue.
De quoi plonger le pays, ainsi que sa classe politique dans l’incertitude. "Cette incertitude compte beaucoup dans la limitation des perspectives de chacun. C’est très difficile de se projeter, et cela alimente la difficulté de concevoir un projet collectif. Nous sommes devant de telles inconnues que tout ce que nous pourrions forger comme projet perd son sens dans le moment même où on l’imagine. C’est un élément capital qui explique ce sentiment de résignation dans lequel sont plongés les Français" conclut Marcel Gauchet.
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