Pascal Bruckner, philosophe, auteur de Je souffre donc je suis, éd. Grasset, est l'invité d'André Bercoff dans le Face-à-face pour analyser les phénomènes actuels de victimisation.
Le génocide est devenu "le mot le plus désirable du monde"
Depuis plusieurs décennies, de nombreuses catégories de population se revendiquent victimes d'une chose ou d'une autre. Selon Pascal Bruckner, "cette concurrence victimaire explose aujourd'hui." Dans cette victimisation, "le blanc s'est auto-désigné" coupable. On le voyait déjà avec Sartre, pendant la guerre d'Algérie. "Sartre est allé trop loin en justifiant la violence aveugle des moudjahidines", regrette Pascal Bruckner.
Le graal de cette victimisation, c'est le génocide, devenu "le mot le plus désirable du monde". "le procès de Nuremberg a installé dans le droit le concept de génocide, les autres populations se disent 'les souffrances dont nous pâtissons aujourd'hui c'est aussi un génocide'." Résultat, une revendication souvent abusive du terme, notamment actuellement de la part des Palestiniens car "il n'y a pas d'intention des Israéliens d'éradiquer les Palestiniens."
La victimisation, c'est "le 'syndrome du petit pois', une hypersensibilité à l'adversité"
"Ma génération était déjà une génération douillette, qui avait grandi dans un relatif confort, qui connaissait les prémisses de la société de consommation, ça s'est aggravé avec le temps", explique Pascal Bruckner, qui prend l'exemple des safe spaces. "Les safe spaces ce sont des bulles auxquelles les étudiants ont droit. Lorsque les nouvelles sont trop douloureuses on s'isole du monde extérieur, chacun se met dans cette bulle et reste à l'abri du monde extérieur. Le monde entier comme nurserie n'est pas bon, surtout que le reste du monde n'est pas du tout dans la douceur et la gentillesse." C'est le "'syndrome du petit pois', une hypersensibilité à l'adversité, même aux désaccords idéologiques."
"Même en Ukraine, chaque fois qu'il y a des attentats ou des morts c'est la prolifération des peluches et des fleurs, le nounours c'est le symbole de la douleur impuissante." Pourtant, la douleur ne peut pas se traduire uniquement par des peluches. "On peut pardonner une fois que l'ennemi est à terre et si lui-même implore notre pardon." En attendant, "la haine, ou au moins l'hostilité, continue à régner. Pour que la haine cesse il faut d'abord que la victoire soit acquise. La réconciliation franco-allemande a eu lieu dix ou quinze ans après la défaite totale et absolue."
Victimisation : "si vous pouvez avoir ce statut à vie vous échappez aux devoirs du citoyen ordinaire"
"Il faut toujours distinguer la victime, que l'on doit assister, et la victimisation." Cette dernière vient "de la part de personnes qui ne souffrent de rien d'autre que d'être nées un jour." "Se dire victime c'est une manière d'être reconnue dans un statut qui est tout à fait particulier. C'est la sainte famille des victimes, si vous pouvez avoir ce statut à vie vous échappez aux devoirs du citoyen ordinaire."
"C'est le propre des despotes que de justifier leurs attaques par 'nous sommes humiliés, nous sommes attaqués', c'est notamment la rhétorique des djihadistes." C'est aussi le propre de certains Algériens, qui vont jusqu'à vouloir faire souffrir aux Français sur leur sol ce que les Algériens auraient subi en Algérie. Or, "la vengeance n'est pas un sentiment à cultiver dans une nation démocratique." "Macron avait commencé à avoir une réflexion intéressante quand il a dénoncé la rente mémorielle de l'Algérie sur la France", note Pascal Bruckner, qui regrette le rétro-pédalage d'Emmanuel Macron.
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