Antoine Dreyfus : le vin était "un enjeu stratégique pour l'Allemagne nazie"
Antoine Dreyfus, journaliste, est l’auteur du livre Les Raisins du Reich publié aux éditions Gallimard, dans lequel il traite de la collaboration des grands vignobles français avec l’Allemagne nazie. Rappelant qu’il n’est pas historien mais journaliste, l’auteur explique s’être "appuyé sur des travaux d’historiens" et est allé "voir tout le monde sur le terrain". Un procédé dont il fait "un peu le making of dans le livre" et qui ajoute un travail d’enquête journalistique au travail des historiens.
"Il y a déjà eu des travaux d’historiens, universitaires, assez sérieux là-dessus, et qui ont décrit parfaitement comment s’organisait" cette collaboration. "En 1939, la France est le premier producteur de vin du monde", rappelle Antoine Dreyfus. De fait, "c’est un enjeu stratégique, vraiment, pour l’Allemagne nazie, quand elle bat la France en mai-juin 1940".
La partie occupée de la France "inclut bien tous les grands vignobles"
Le vin est "un enjeu stratégique", analyse l’auteur, car il est "un puissant moteur économique", ce que les Allemands montrent notamment par l’organisation, dès 1939, d’un "grand congrès international du vin où ils affichent leur volonté de devenir un acteur majeur dans ce domaine-là". Une volonté que l’on retrouve, souligne Antoine Dreyfus, dans "les pays fascistes comme l’Italie" ; "il y a toute une organisation qui se monte autour de ça".
"D’ailleurs, ce qui est assez étonnant, c’est de regarder le partage de la France en deux, la ligne de démarcation", souligne l’auteur du livre Les Raisins du Reich. Le tracé de cette démarcation était, rappelle-t-il, "secret, il changeait à chaque fois". La partie occupée, "inclut bien tous les grands vignobles", alors que "la logique voudrait que ça s’arrête au-dessus de Bordeaux, vers Nantes". La raison est simple : "à cette époque-là, le bordelais, c’est le centre du monde en matière de vin".
"En achetant du vin à un prix raisonnable et en grandes quantités, en quelque sorte, ils achètent la paix sociale"
"Au début, quand les Allemands arrivent, il y a quelques pillages, il y a quelques ventes sauvages", raconte Antoine Dreyfus. "Et il y a aussi Göring qui pille allègrement", comme il fit pour les œuvres d’art par exemple.
Au bout d’un moment, toutefois, les Français arrivent à vendre, et même très cher, les Grands Crus. Ce qui pourrait paraître un paradoxe, étant donnés les pillages, mais qui en réalité est lié au "système qui est mis en place d’indemnités d’occupation", si bien que "la France paye" des sommes très élevées, "l’équivalent, je crois, de 150 milliards de francs par an", précise l’auteur. Ainsi, "l’Allemagne a les moyens d’acheter". "Et en achetant du vin à un prix raisonnable et en grandes quantités, en quelque sorte, ils achètent la paix sociale."
Cette paix sociale, pour l’auteur, se voit dans la quantité de troupes déployées en France pour l’occuper : "en regardant les chiffres des troupes allemandes sur le sol français, il aurait fallu en déployer beaucoup plus pour que le pays soit occupé véritablement". "Ce que craignaient, d’ailleurs, les professionnels du vin, c’étaient les réquisitions de l’État de Vichy, parce que là, en fait, ils ne payaient pas cher, parfois ils ne payaient même pas."
En France, l’Allemagne met donc en place une véritable organisation, avec des "Wein Führer", littéralement des "chefs du vin", "qui connaissent le vin, qui sont francophiles, francophones, qui parlent français parfaitement et qui connaissent tout le monde".
Il prend en exemple Gustav Klaebisch, "qui est le chef du vin à Cognac, est né à Cognac, a fait ses études au lycée à Cognac et il a, entre guillemets, tellement bien protégé le vin à Cognac qu’après la guerre, il a travaillé pour les maisons de Cognac".
"Il y a eu des profiteurs de guerre, mais vraiment de manière éhontée"
Le terme collaboration est très connoté lorsqu’il s’agit de la période nazie, puisqu’il définit avant tout des personnes ayant participé activement au régime nazi tout en étant françaises. Mais Antoine Dreyfus rappelle que "le monde paysan était très peu résistant, globalement" bien qu’il y ait eu "de la Résistance dans les vignobles, chez les viticulteurs et les propriétaires" ; "mais c’est une infime minorité".
Pour lui, "ça s’explique : comme partout, ils ont une exploitation, ils ont des enfants, ils ne vont pas se mettre à faire de la Résistance à 45 ans..." Dans le cadre du monde viticole sous l’Occupation nazie, "il y a eu des profiteurs de guerre, mais vraiment de manière éhontée", explique l’auteur. Au point que "des gens sont devenus millionnaires voire, pour certains, milliardaires, y compris dans le vin".
Inversement, "il y a eu des Résistants, il y a eu des Gaullistes, il y a eu des gens qui se sont engagés dans la Résistance" parmi lesquels Antoine Dreyfus mentionne Bernard de Nonancourt, qui a été longtemps président de la maison de champagne Laurent-Perrier. "Mais c’est une infime minorité", tient à rappeler le journaliste.
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