Guillaume Pitron : "Je dois m'interroger sur ces solutions qui sont peut-être un peu trop simples"
Pour Guillaume Pitron, "la dématérialisation est un nouveau récit qui est très confortable pour le capitalisme et pour les grandes sociétés du numérique". "On pense aux Gafa, à Google, Facebook, Apple et Amazon entre autres", explique-t-il. Selon l’auteur de L'enfer numérique : voyage au bout d'un like, la dématérialisation permet "de continuer à s’enrichir et à pouvoir étendre le capitalisme tout en ayant un impact très limité sur les écosystèmes, sur la biodiversité et sur le réchauffement climatique". Pour beaucoup, il s’agit de "s’enrichir à moindre frais, c’est du gagnant-gagnant", estime le journaliste.
"Je ne suis pas anticapitaliste pour un sou", explique Guillaume Pitron, "mais simplement, en tant que journaliste, je dois m'interroger sur ces solutions qui sont peut être un peu trop simples". "Pendant deux ans, j’ai voulu savoir ce qu’il se passait lorsqu’on envoyait un like", résume le journaliste. "Le like part de mon téléphone, il arrive jusqu’à votre téléphone mais entre les deux qu’est ce qu’il y a ?", interroge le spécialiste de géopolitique. "Entre les deux il y a une infrastructure".
"Peut-être que demain ça passera même par les satellites"
"Tout d’abord, le like part de mon ordinateur ou de mon téléphone, il rejoint la box qui émet du wifi chez moi par exemple ou bien rejoint l’antenne 4G si je suis sur mon téléphone", explique-t-il. "Ensuite le like va descendre sous les trottoirs, il va emprunter des tuyaux qui frayent à un mètre de profondeur, il va rejoindre d'autres câbles qui sont sur le littoral français et qui rejoignent les Etats-Unis parce que ces likes vont être stockés sur les plateformes de réseaux sociaux américaines", continue Guillaume Pitron. "Là-bas on va retrouver ces likes stockés et transmis via des centres de données (ce qu’on appelle en anglais des Datacenters) qui stockent toutes ces informations, qui sont les informations de notre vie connectée et puis in fine, il va parvenir, après un voyage de plusieurs milliers de kilomètres jusqu’à votre téléphone", conclut le journaliste.
"Cela va aller très vite, ça va se passer à 200.000 km/s, c’est la vitesse de l’information dans la fibre optique", explique Guillaume Pitron, "et 300.000 km/s quand ça passe à travers les ondes". "Vous allez donc recevoir une notification quasiment instantanément mais il a fallu construire toute cette infrastructure qui est faite de câbles sous-marins, de datacenters, etc.", indique le journaliste. "Peut-être que demain ça passera même par les satellites, notamment par les constellations de satellites d’Elon Musk", ajoute-t-il.
"La plus vaste infrastructure jamais créée par l’Homme"
"Tout ça pour dire que pour quelque chose de dématérialisé", juge Guillaume Pitron, "il y a une infrastructure qui est en passe de devenir la plus vaste infrastructure jamais créée par l’Homme, avec des enjeux matériels énormes". Pour lui, "personne ne connaît le coût écologique d’un like et c’est même très difficile de savoir le coût écologique d’un email, c'est-à-dire combien cela nécessite de matière et combien de CO2 cela émet". D’après le journaliste, "les opinions sont très divergentes". "On dit qu’un email produit 0,2 gramme de CO2, s’il s’agit d’un spam et 20 grammes pour un email avec une pièce jointe", explique-t-il. À titre de comparaison, Guillaume Pitron explique qu’ "un kilomètre en voiture produit environ 120 g de CO2". "Un email représente donc un sixième de kilomètre", indique le journaliste, "c’est quand même assez colossal quand on pense qu’un email c’est soit disant dématérialisé", juge-t-il.
"Ce que l’on sait en revanche globalement", ajoute Guillaume Pitron, c’est que "le numérique c’est 10% de la consommation électrique mondiale, 4,6 milliards de personnes se servent du numérique dans le monde et qu’en 2030, tout le monde s’en servira". "L’ensemble de nos interactions numériques", représentent selon le journaliste, "un peu moins de 4% des émissions de CO2 mondiales". "C’est probablement voué à être multiplié par deux d’ici 2025 à cause du Covid19", explique l’auteur de L'enfer numérique : voyage au bout d'un like.