Finalement, les choses les plus importantes sont celles dont on parle le moins. En dehors des périodes de crises aiguës comme celle d'octobre 1987 (baisse de plus de 22% de la bourse de New York en une journée), de la crise asiatique de 1997 qui avait semé la panique dans le monde entier, ou encore de celle de 2008, on a pris l'habitude de négliger ce qu'il se passe sur les marchés des monnaies et des bourses.
Imprégnés par une vieille tradition intellectuelle, beaucoup de responsables politiques pensent ou plutôt croient que la monnaie n'affecte pas l'économie réelle, qu'elle en compte pas pour la croissance et le chômage, et que seules comptent les réformes structurelles, celles de la concurrence, du marché du travail et de l'assurance chômage. La politique monétaire est plus importante que la flexibilité du travail. Quand on se trompe dans la politique monétaire, on peut détruire une économie et même une civilisation. Milton Friedman pensait, par exemple, que la grande crise des années 30 était due à une grave erreur de politique monétaire de la Banque centrale américaine (la Federal Reserve, plus connue sous l'acronyme Fed), qui avait diminué la quantité de monnaie en circulation quand il aurait fallu l'augmenter. Et tous ceux qui n'ont pas vu à quel point la politique de l'euro fort avait été, pendant une décennie, meurtrière pour l'économie européenne et pour l'emploi, ont été aveugles. En 2008, tout le monde a vu que la déréglementation et surtout les dérives de la finance pouvaient avoir des effets dévastateurs.
Et ça recommence ! Songez que la finance de l'ombre, celle qui se développe en dehors de tout contrôle et de toute régulation, représenterait, selon le Conseil de stabilité financière, près de 100 000 milliards de dollars. Comme le disait l'économiste américain John Kenneth Galbraith, qui avait étudié toutes les grandes crises financières de l'histoire : en finance, on n'apprend jamais rien et on ne tire jamais durablement les leçons des catastrophes.
Revenons à 2008. Ce fut un désastre mais on a évité le pire, en raison de la politique monétaire, en inondant le monde de monnaie ou, comme disent les économistes, de liquidités grâce notamment au président de la Banque centrale américaine de l'époque Ben Bernanke, qui a racheté en masse les créances douteuses, que l'on appelle aussi "pourries" dans le jargon de la finance. En Europe, il a fallu attendre 2015 pour que Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, change vraiment de cap en tordant le bras aux Allemands (toujours rigoristes, parfois jusqu'à la déraison), lesquels voulaient encore une politique restrictive alors que la déflation menaçait.
Les taux sont bas parce qu'il y a trop d'épargne dans le monde et pas assez d'opportunités d'investissements offertes par le libre jeu du marché. Certes, il faut sortir progressivement des politiques monétaires de crise mais sans sombrer dans la dépression et la déflation et sans faire éclater brutalement les énormes bulles spéculatives de la finance mondiale. Et c'est là que Donald Trump peut faire des dégâts...
Le président américain avait dit qu'il marginaliserait l'influence de Wall Street et il s'est entouré d'une ribambelle de financiers de... Wall Street. L'une de ses premières mesures dangereuses a été d'abolir une bonne partie des réglementations financières mises en place après la crise des subprimes. Mais surtout, dans les semaines qui viennent, il doit reconduire ou nommer le successeur de Janet Yellen, actuelle présidente de la Fed, dont le mandat s'achève en 2018. Cette dernière a fait preuve de prudence et de sagesse dans une période délicate. Un mauvais choix, un choix irraisonné - à la Trump - pourrait être catastrophique pour une économie mondiale qui, malgré des signes de reprise, demeure au bord du gouffre.
La monnaie, c'est sacrément important pour la vie des gens même si c'est très technique..
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