Au fond, c’est assez normal. L’OFCE est un organisme indépendant financé par des fonds publics, créé par Raymond Barre pour diversifier les sources d’information. Il dit qu’il y a peu d’austérité dans ce budget, mais plus d’inégalités.
On peut parler d’une politique pour les très riches, comme l’OFCE, mais aussi dire le contraire, comme le dit le gouvernement et Bercy.
On peut parler d’une politique pour les entreprises, davantage que pour les ménages, sauf que ce sont toujours les ménages, à la fin, qui paient.
On peut parler de plus de pouvoir d’achat, c’est la thèse du gouvernement et de Bercy, ou moins, comme l’INSEE, ou que cette politique est neutre, comme l’OFCE.
Cela montre que quand on se plonge dans les finances publiques, il est bien difficile de s’y retrouver.
Tout change, du tout au tout, selon la période envisagée, les frontières entre les catégories sociales, selon le point de départ de l’analyse, les effets retardés des mesures anciennes, les comportements des agents économiques, qui peuvent changer selon les circonstances et des effets supposés des mesures que l’on prend.
Un effet ‘premier de cordée’ comme le dit le président de la République selon lequel, en donnant beaucoup à ceux qui réussissent, ils vont entraîner les autres, ou bien un effet de ‘ruissellement’ qui dit que ceux qui gagnent beaucoup en haut vont en faire profiter, par leurs dépenses et leurs achats, ceux qui gagnent moins en bas.
Il faut donc des modèles pour tester tout ça, avec des hypothèses qui sont toujours discutables et que, la plupart du temps, on ne connaît pas. Que veulent dire les chiffres qu’on se jette à la figure ?
Que veut dire un grand plan de financement de 57 milliards, alors que l’on ne sait pas quelles étaient les mesures déjà envisagées, les vraies mesures nouvelles ?
Un chiffrage n’est donc pas une réalité, mais un point de vue particulier, fondé sur une multitude de choix, plus ou moins arbitraires et d’hypothèses qui le sont souvent tout autant.
Si les gens pensent qu’on les trompe avec les chiffres, c’est peut-être qu’il y a un fond de vérité dans ce sentiment. On leur oppose des moyennes alors qu’ils réagissent en fonction de leur point de vue personnel.
Les fins de mois de l’État n’ont pas du tout la même réalité pour les citoyens que les fins de mois de leurs ménages. On fait en réalité de la créativité comptable, comme dans les entreprises, et on noie un peu le poisson. C’est aussi un peu l’art des finances publiques, de perdre le citoyen et l’expert dans le dédale des chiffres.
L’économiste y perd aussi son latin, pardon, sa science. On sait quand on crée un fonds réellement doté, quand on augmente le capital réel et non virtuel d’une entreprise. On sait quand la politique est faite de grands choix et de grands mouvements. Mais discuter à quelques dixièmes près des chiffres des finances publiques, pour savoir réellement ce qu’est la politique aujourd’hui, c’est absolument impossible.
C’est le grand tort de notre époque. Quels chiffres ? Ils sont tous de nature différente, fabriqués de façon différente. C’est peut-être ce qui a le moins de réalité dans notre société de l’information.
Écoutez la chronique d'Henri Guaino dans le Grand Matin Sud Radio, présenté par Patrick Roger et Sophie Gaillard