PDG et fondateur de l’agence d’intérim Gojob, Pascal Lorne revient, sur Sud Radio, sur l’organisation du travail en France sur laquelle il a écrit un livre, Dix jours pour hacker le travail (éditions Débats Publics). Pour lui, les deux mois de confinement ont permis à "tout un chacun" de "réfléchir un petit peu, durant cette période de pause, sur qu’est-ce qui est en train de changer".
En effet, les Français ont dû s’adapter à de nouvelles organisations du travail, inédites pour beaucoup d’entreprises et de salariés. "Nous nous sommes retrouvés dans une situation dans laquelle beaucoup de monde a été confronté au télétravail", explique Pascal Lorne, "mais pas que". Il cite notamment les "infirmières et les infirmiers" et "toutes les personnes du monde de la logistique". Elles ont été "confrontées à de nouvelles façons de travailler".
"La valeur travail a complètement disparu"
"J’ai vu dans le monde du travail des choses qui ne correspondaient pas tout à fait à ce que j’avais imaginé auparavant." Il compare sa propre expérience dans divers pays du monde dans lesquels il a été entrepreneur avec son expérience en France : "j’ai redécouvert une société complètement morcelée dans laquelle la valeur travail a complètement disparu".
Pour le fondateur de Gojob, c’est un problème de sémantique, de mots, de termes et de la vision du monde que ces termes renvoient. Il prend l’exemple des RTT (Récupération du temps de travail) "comme s’il fallait récupérer le temps de travail qui est donc quelque chose de perdu".
Le travail "dépasse largement le fait de gagner de l’argent"
"De la même manière, lorsque Nicolas Sarkozy explique ‘qu’il faut travailler plus pour gagner plus’, il réduit le travail à la portion congrue d’uniquement gagner de l’argent." Le travail est donc "dévalorisé et ramené uniquement au fait de gagner sa vie". Pour Pascal Lorne, "ce n’est pas ça le travail".
"Le travail c’est un moyen pour toutes et tous de trouver sa place dans la société et donc de trouver une vraie dignité dans la société." Le travail "dépasse largement le fait de gagner de l’argent", pour l’auteur.
Les derniers ministres du Travail "n’ont pas vécu ce qu’est le travail"
Dans son livre, Dix jours pour hacker le travail, Pascal Lorne par les "Prophètes du malheur". Ce sont des personnalités, des décideurs, qui jouent sur la vision négative du travail. Ce sont "bien souvent des personnes qui ne connaissent pas vraiment le travail", mais qui "s’érigent en ‘sachants’".
"Bien souvent on s’aperçoit que dans ‘la classe dirigeante et sachante’, il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas forcément vécu dans leurs tripes ce que c’est que le travail." C’est le cas pour "les derniers ministres en charge du travail", souligne Pascal Lorne qui remarque toutefois du changement avec Muriel Pénicaud qui, elle, a bien une expérience professionnelle : "ça commence à changer et c’est plutôt une bonne chose."
"Le malheur avec le CDI est qu’il crée une caste"
Parmi les changements préconisés par le fondateur de Gojob dans son livre, il y a la suppression du CDI (Contrat à durée indéterminée), une réforme qui ne manquerait pas de faire débat en France. Mais pour l’auteur, la classe dirigeante, qu’ils soient politiques ou syndicalistes, "a tendance à ramener le CDI à, symboliquement, la protection du salarié". Or, "le malheur avec le CDI est qu’il crée une caste" : sans CDI "il est quasiment impossible d’accéder au crédit" et donc d’acheter une maison ou une voiture voire même de trouver une location.
"Dans la grande majorité des pays, la notion de CDI n’existe pas."
"Le CDI, qui est typiquement quelque chose de franco-français, met dans une catégorie d’ultra privilégiés les personnes qui vont pouvoir accéder à la consommation." Ce contrat crée donc une injustice avec les Français qui sont "soit en intérim, soit sur des petits boulots d’entrepreneur soit sur des CDD" et qui "finalement se retrouvent complètement délaissés d’une partie des possibilités qu’offre notre société", analyse Pascal Lorne.
"Le CDI ne fait que renforcer une caste", estime l’entrepreneur qui avance que "comme il y a de moins en moins de postes en CDI qui s’ouvrent, ça devient complètement absurde". "Dans la grande majorité des pays, la notion de CDI n’existe pas." Les contrats démarrent et s’arrêtent "lorsque le salarié et l’employeur le veulent" ce qui finit par résoudre "ces problèmes d’accès bancaire". "Le CDI, pour moi, met les gens dans une espèce de cocon."
La suppression des CDI, pour les banques, ne devrait pas être un problème, car elles devront s’adapter : "s’il n’y a plus de CDI, les banques devront bien continuer à prêter". "Si on voulait avoir une approche assez radicale, il faudrait aller jusqu’à complètement abolir le CDI et avoir un seul contrat unique." Un contrat qui n’enlèverait rien aux garanties actuelles, notamment en termes de couverture sociale ou de chômage.
L’autoentreprise crée des "sous travailleurs"
Pascal Lorne revient, en outre, sur l’explosion des microentreprises en France : pour lui, si cette forme d’entreprise "est une bonne chose" pour les indépendants "qui peuvent avoir un certain niveau de revenus" et "assurer un certain niveau de retraite", elle représente également un danger pour les personnes qui ont "des petits boulots".
"On se retrouve finalement dans une situation dans laquelle on remet à l’ordre du jour ce qu’on avait enfin défini et réussi à bannir qu’est le tâcheronnage [travail effectué et payé à la tâche, NDLR]." "On se retrouve avec une sous-classe" et des "sous-travailleurs", estime Pascal Lorne, qui "ne cotisent pas et sont soumis aux aléas de la vie quotidienne".
Cliquez ici pour écouter "L’invité politique" avec Patrick Roger
Toutes les fréquences de Sud Radio sont ici !