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Faire l’Europe par le droit et pas par la politique, une erreur qui coûtera cher

La Cour de justice de l’Union européenne vient de débouter la Hongrie et la Slovaquie, qui contestait la légalité de la décision du Conseil européen d’établir des quotas d’accueil de migrants en 2015. Une décision lourde de conséquences.

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L'Union Européenne va faire monter la taxe carbone pour tous. (Frédéricj Florin - AFP).

Au moment où le président de la République va lancer à Athènes sa campagne pour la refondation démocratique de l’Europe, la Cour de justice de l’Union européenne (plus haute autorité judiciaire de l’Union), chargée de faire respecter le droit européen, vient de donner tort à la Hongrie et la Slovaquie qui avaient formé un recours contre la décision du Conseil européen d’imposer à tous les États membres des quotas de réfugiés à accueillir pour soulager la Grèce et l’Italie. Cette décision, qui avait suscité des polémiques, a été prise en pleine crise des réfugiés en septembre 2015, malgré l’opposition de tous les pays d’Europe de l’Est qui exigeaient qu’elle ne put être prise qu’à l’unanimité des États membres et non à la majorité qualifiée. La Cour de justice a estimé qu’une majorité qualifiée était suffisante au regard des traités, et que la décision du Conseil s’imposait donc à ceux qui ne l’avaient pas voté.

Le problème posé par cette décision n’est pas celui du nombre de réfugiés concernés. Sur un objectif initial de 120 000 réfugiés à relocaliser, seulement 28 00 l’ont été. Au regard de la population européenne (Royaume-Uni compris) de 512 millions d’habitants, c’est relativement peu. Le problème n’est pas non plus de savoir si l’on approuve moralement ou non la décision des juges. Il n’est en effet pas moral de laisser à l’Italie et à la Grèce tout le poids des réfugiés, et il serait encore moins moral de les rejeter, d’autant plus que l’Occident a sa propre part de responsabilité dans leur malheur depuis la deuxième guerre d’Irak et la guerre de Libye.

Les réfugiés, une question politique et non pas juridique

Le problème, c’est le rapport entre le droit et la politique, car ce sujet des réfugiés – comme celui de l’immigration et de la libre circulation – est l’un des sujets les plus politiques qui soient. Et les questions politiques ne peuvent être tranchées par le droit. L’accueil des réfugiés est un impératif moral qui a toujours été difficile à satisfaire. Petit retour en arrière : même le Front Populaire des années 1930, pourtant pétri de bonnes intentions, eut bien du mal à gérer l’afflux de réfugiés allemands et espagnols. En 1936, le représentant de la France à la conférence de Genève qui a créé le statut de réfugié, un socialiste nommé par Léon Blum, déclarait : "Le gouvernement français comprend les engagements qu’il va prendre comme s’appliquant aux personnes actuellement réfugiées. Il ne pourrait en effet, et aucun gouvernement ne le pourrait davantage, prendre en blanc des engagements auxquels il ne serait plus en mesure de faire face si le nombre de réfugiés futurs devait augmenter au-delà des facultés d’absorption des pays d’accueil". En 1937, le ministre de l’Intérieur du Front Populaire, Max Dormoy, demandera aux préfets de refouler ceux qu’on va appeler bientôt les indésirables. Il dénonce le danger que présenterait la présence sur notre sol d’hommes sans ressources et sans travail, et les met en demeure de quitter le territoire. La mémoire collective garde encore la trace des noms des camps sinistres où on finit par les parquer (Argelès, Saint-Cyprien, etc.).

De tous les temps, les réfugiés ont été mal accueillis partout. De tous les temps, il y a eu des tensions et des rejets. Question donc de conscience, de responsabilité politique ! Pour peser le pour et le contre, les impératifs moraux et les risques de déchirement et de violence. On peut blâmer ou louer Mme Merkel pour avoir choisi d’accueillir un million de réfugiés, mais elle a pris ses responsabilités (soit-dit en passant, elle les a pris aussi pour ses voisins avec la mécanique de Schengen). On peut condamner l’égoïsme de la Hongrie ou de la Slovaquie. Mais on ne peut pas soigner cet égoïsme judiciairement ! Ces deux pays ont d’ailleurs eu tort de faire eux-mêmes de ce sujet une question de tribunal pour ensuite dénoncer un jugement politique.

En imposant juridiquement cette décision à ceux qui n’en voulaient pas, cette confusion entre juridique et politique est au cœur du malaise européen. Les États membres peuvent s’accorder sur des droits, des libertés, des procédures, et les placer sous le contrôle des juges ou d’autorités indépendantes. Mais il y a des sujets et des situations où le pouvoir politique doit prendre ses responsabilités, pour le meilleur ou pour le pire. Il n’y a pas de libertés qui soient sans limites, et ce n’est pas au juge à fixer ces limites, dans l’intérêt même de la démocratie, de l’État de droit et de la construction européenne.

L’exemple de la crise financière de 2008

Le Brexit doit beaucoup à la méconnaissance de cette réalité. La libre circulation et le statut des réfugiés sont de beaux principes, mais on les abîme en les sortant du champ de la responsabilité politique pour en faire de simples sujets juridiques. Il y a des choses qu’on ne peut pas imposer par le droit, mais seulement obtenir par la politique qui a à gérer les opinions publiques, les sentiments et les réactions des peuples.

Vouloir faire l’Europe par le droit plutôt que par la politique se paiera de plus en plus cher au fur et à mesure que les crises créeront des situations extrêmes qui exigeront des gouvernements des décisions qui transgressent les processus et les textes. Si en 2008, les gouvernements n’avaient pas décidé politiquement de violer les traités, l’Europe aurait été emportée par la crise financière.

Réécoutez l'édito de Henri Guaino, diffusé dans le Grand Matin Sud Radio

 

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