Imaginez le quotidien des habitants de grande banlieue des métropoles, ceux qui prennent le train tous les jours pour se rendre au travail. Des trains bondés, des heures passées debout, écrasé au milieu des autres, le stress d'arriver en retard au travail, la fatigue, les malaises, parfois, qui ralentissent encore la circulation… Inévitablement, des tensions naissent. S'il ne reste que quelques places assises, si le train totalement plein ne peut plus accueillir que deux ou trois personnes, en tassant bien les autres. La promiscuité, en temps normal, n'est pas un plaisir évident pour l'individu contemporain, là, elle devient une torture. Alors, certains s'énervent. Il y a ceux qui marchent sur les voies parce que les autres, sur le quai, sont trop lents, il y a ceux qui sont prêts à marcher sur leur voisin pour avoir la dernière place. On mesure, dans ce genre de situation, le degré de civilisation d'une société. Et l'on peut se dire que la plupart des gens sont d'une dignité absolue. Mais il en est d'autres qui nous montrent ce que peut produire une société dans laquelle les individus ne se sentent plus rien de commun avec ceux qu'ils croisent dans l'espace public.
Alors bien sûr, certains diront que ce sont des circonstances exceptionnelles et qu'il ne faut pas y accorder beaucoup d'importance. C'est vrai. Mais la mentalité qui consiste à penser que, dans une situation difficile, chacun doit tirer son épingle du jeu seul, est une mentalité qui produit ses effets dans tous les domaines de la société. Et pire que cela. Prenez cette statistique : en 2017, 1 000 médecins ont été agressés dans leur cabinet. Des violences verbales ou physiques, le plus souvent sur des médecins généralistes, ceux qui sont présents au quotidien pour leurs malades, et principalement des femmes, parce que ceux qui se permettent ça réservent leur rage à ceux qu'ils pensent plus faibles qu'eux. La plupart du temps, ce sont des gens qui n'ont pas supporté d'attendre. Comme ceux qui, dans les trains bondés ces deux derniers jours, font tout pour passer devant tout le monde. Cette violence-là, elle ne naît pas de nulle part.
La violence que nous pouvons avoir en nous rencontre normalement des limites, des interdits. Un respect de certaines institutions, l'idée que certaines choses ne se font pas. C’est l'éducation qui nous apprend à contrôler nos pulsions et même à céder notre place aux autres, bref, à agir en considérant que nous sommes une partie d'un tout, que nous partageons quelque chose avec les autres. Que nous faisons société.
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