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La limitation des mandats dans le temps, est-ce bien raisonnable ?

Henri Guaino évoque aujourd'hui la limitation des mandats dans le temps, s'interrogeant sur son bien-fondé dans un système démocratique.

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Je n'irai pas jusqu'à dire que la limitation des mandats dans le temps me fait sortir de mes gonds mais cela m'interroge. Tout d'abord, il faut bien voir qu'aujourd'hui la question centrale, en politique, c'est de savoir dans quelle mesure la société peut être gouvernée, dans quelle mesure il peut encore y avoir un gouvernement qui gouverne. 

Les gouvernements sont déjà enserrés dans les contraintes que leur imposent les juges : les marchés, l'Union européenne, le libre échange, les traités etc... Désormais, on rajoute sans arrêt des contraintes dans la constitution et il devient extrêmement difficile pour la politique de jouer son rôle. Or,ce rôle est essentiel car il s'agit de celui de la volonté humaine dans l'histoire et la société. Revenons un instant sur la démocratie. Son principal avantage, c'est qu'elle organise la succession du pouvoir de façon pacifique. Il y a eu d'autres manières de faire, c'est d'ailleurs pour ça que l'on a inventé l'hérédité par exemple, qui était, soit dit en passant, une autre manière pacifique de succession par rapport à ce qu'il se passait dans l'Empire romain, où c'était la violence qui réglait les problèmes de successions.

Intéressons nous au non-cumul des mandats dans le temps, qui pose justement ce problème de la succession au pouvoir en démocratie. L'exemple le plus caractéristique est évidemment celui des États-Unis. En 1947, les Américains ont ainsi décidé d'introduire dans leur constitution le 22e amendement, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels (non pas successifs mais en tout). Cela venait après l'expérience de Franklin Delano Roosevelt, qui avait été élu 4 fois (1932, 1936, 1940 et 1944) avant de mourir au début de son quatrième et dernier mandat. Resituons les choses : imaginez un instant qu'il y ait eu à l'époque une limitation et que les Américains aient dû changer de président. Que se serait-il passé ? On voit tout de suite que ce système peut avoir aussi beaucoup d'inconvénients, selon les circonstances. Aujourd'hui, quelqu'un comme Obama ne pourrait pas se représenter contre Trump, même s'il le voulait.

En France, la première expérience date de 1848 avec l'élection du président de la République au suffrage universel pour un seul mandat. Louis-Napoléon Bonaparte avait alors été élu avec 74% des voix. Mais que se passe-t-il quand il arrive quasiment au terme de son mandat ? Le 2 décembre 1851, comme il veut rester au pouvoir, il réalise un coup d'État qu'il soumet d'ailleurs à un plébiscite, qu'il a par la suite remporté. Donc on voit bien que cette non-rééligibilité est toujours suspendue à la volonté des peuples qui ont toujours le dernier mot. Ils n'ont pas toujours raison mais ils ont toujours le dernier mot. Venons-en à la Ve République qui commence avec un mandat de 7 ans sans limites. Ce changement a-t-il provoqué des problèmes extrêmement importants ou des difficultés ? En réalité, non ! Le seul qui a fait deux mandats et pas plus, c'est François Mitterrand. Le général de Gaulle, quant à lui, n'a régné que pendant 11 ans, Georges Pompidou est mort au bout de cinq ans et Jacques Chirac a fait deux mandats de 7 et 5 ans. Enfin, Nicolas Sarkozy a été battu en 2012 alors qu'il briguait un deuxième mandat et François Hollande ne s'est pas représenté en 2017. Le "pire" reste donc François Mitterrand avec deux mandats de 7 ans.

Le vrai problème se situe peut-être au niveau des députés et des maires. Ainsi pour ces derniers, le souci est que l'on ne construit rien en dehors de la durée. Prenons l'exemple de Georges Frêche. Qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, il n'aurait jamais transformé la ville de Montpellier, telle qu'on la connaît, s'il n'avait pas pu faire ses 5 mandats (de 1977 à 2004). Les Montpelliérains lui ont renouvelé leur confiance à chaque fois. Il faut savoir qu'un grand projet met 8 à 10 ans pour être réalisé donc si vous voulez en faire 2 ou 3 pour transformer une ville, il faut du temps à condition que les gens soient d'accord. En ce qui concerne les députés, le problème qui va se poser est celui de la mémoire, car pour qu'une assemblée fonctionne, il faut à la fois des gens nouveaux, donc du renouvellement, mais aussi de la continuité. 

Bref, on a tort de vouloir mettre la politique au rythme des marchés et des nouvelles technologies. Le politique est un autre temps, c'est même un contretemps. C'est le temps de la volonté humaine et de la construction dans la durée. On a perdu ce sens de la durée et ce sens de la politique. S'il n'y a plus de volonté humaine, qui donc gouverne ? La fatalité ?

>> L'intégralité de la chronique est disponible en podcast

 

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