Fraude sociale : où sont passés les 7 milliards d'euros de l'association patronale de garantie des salaires ?
Des milliards évaporés sans que personne ne s’inquiète. Des salariés qui portent plainte après avoir découvert qu’une partie de l’argent du fonds de garantie patronal ne leur est pas parvenue. Les révélations de l’ex-directrice du régime de garantie des salaires ont conduit à l’ouverture d’une enquête. Mais tout est fait pour décrédibiliser Houria Aouimeur-Milano. On en parle avec Philippe Murer.
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"Où sont ces milliards ?"
André Bercoff : Et évidemment, ça vous dit tous quelque chose, c'est le générique de qui veut gagner des millions, mais là, ce n'est pas qui veut gagner des millions, ce qui a gagné des milliards. Où sont ces milliards ? Je rappelle en deux mots, des milliards évaporés de la caisse de l'Agence nationale de garantie des salaires, c'est l'association Petronal, Medef Unedic, un régime, je le rappelle, qui est prévu pour venir en aide pour payer les salaires des entreprises en difficulté ou des sociétés en liquidation. C'est une sorte de cagnotte, évidemment, pour pas que les employés se retrouvent sans rien, effectivement, au moment des difficultés. Eh bien, une directrice a levé le lièvre, a sorti les révélations et ça se passe assez mal pour elle. Bonjour Philippe Murer .
Philippe Murer : Bonjour André Bercoff.
André Bercoff : Bonjour, Philippe Murer, vous êtes économiste, vous avez écrit récemment et on en a parlé, et je recommande vers un capitalisme du désastre. Effectivement, on se demande là, le désastre, je ne sais pas si c'est le capitalisme, mais ce sont les caisses dites de retraite, en tout cas les caisses qui garantissent les salaires. Qu'est-ce qui s'est passé exactement, Philippe Murer ?
Philippe Murer : Ce qui s'est passé, comme vous dites, l'AGS, en fait, c'est un fonds du patronat. Chaque entreprise, c'est important, chaque entreprise cotise grosso modo 0, 15% des salaires dans ce fonds.
André Bercoff : Toutes les entreprises ?
Philippe Murer : Toutes les entreprises. Donc c'est quand même l'argent de toutes les entreprises. D'accord. Et ça fait environ un milliard d'euros par an. Et en fait, cet argent permet tout simplement, quand les entreprises sont en faillite et qu'il y a des arriérés de salaire, de ne pas laisser les salariés dans le dénuement de leur avancer ces salaires-là par l'AGS. C'est l'AGS qui paye au moment où plus personne peut payer.
André Bercoff : C'est ça, d'accord.
"Parce que l'AGS perd de l'argent, ont beaucoup d'argent, contre toute logique, il est évident que beaucoup d'argent est détourné pour tout le monde."
Philippe Murer : Donc l'affaire, c'est que la remplaçante, il y a en décembre 2018, l'ancien patron d'Unedic' AGS, c'est Unedic' AGS qui gère ça, qui va partir à la retraite à 71 ans. Eh non, le MEDEF nomme une remplaçante qu'il connaît très bien, qui a été responsable à haut niveau au MEDEF pendant des années, qui est adoubée par le MEDEF, ou rien, à où il meurt. Donc elle est recrutée avec comme mission, engagée des audits, trouvée des fraudes, trouvée des fraudes qui sont criantes à l'AGS. Parce que l'AGS perd de l'argent, a beaucoup d'argent, contre toute logique, il est évident que beaucoup d'argent est détourné pour tout le monde.
André Bercoff : D'accord. On savait déjà qu'il y avait des fraudes et des pertes, etc., inexpliquées.
Philippe Murer : Inexpliquées. Le montant exact, on ne savait pas, mais juste en rentrant dans le dossier de loin, enfin d'un peu plus près, j'ai vu que c'était évident parce que l'AGS devait récupérer beaucoup d'argent, si vous l'expliquerez, et qu'elle en récupérât très peu. Elle faisait que dépenser. Et la Cour des Comptes avait d'ailleurs fait un rapport très négatif fin 2018 sur l'AGS. Donc, Uria à Weaver arrive, commande d'audit au grand cabinet de conseil américain Ernst & Young, qui détecte un système de corruption et de malversation. Ah ouais. Faut aller plus loin, parce qu'elle n'est pas satisfaite, elle commande immédiatement un autre audit, plus approfondi, auprès du cabinet. Là, les résultats tombent. Et là, il y a quelque chose... Alors, il faut que je rentre juste un peu dans le détail, mais ça serait simple à comprendre pour tout le monde.
André Bercoff : Oui, allez-y, allez-y.
Philippe Murer : Vous voyez ce qui se passe. Lors d'une faillite, il y a un mandataire liquidateur, un homme qui est nommé, désigné pour gérer la vente des actifs.
André Bercoff : C'est ça, la faillite d'une entreprise n'est pas rentrée en faillite, et un mandataire liquidateur est donné pour chaque entreprise qui rentre en faillite, c'est ça ?
Philippe Murer : Exactement.
André Bercoff : D'accord.
"Des fraudes lourdes, des fautes lourdes, flagrantes, des irrégularités, des malversations des mandataires liquidateurs."
Philippe Murer : Alors, à ce moment-là, l'AGS avance au mandataire liquidateur la somme pour payer rapidement les arrières de salaire aux gens qui sont en train de perdre leur emploi, tout simplement. Les actifs vendus et l'argent sont rendus, normalement, à tous ceux qui ont traité aux entreprises. Et comme l'AGS est un créancier super privilégié, il doit récupérer une très grande partie des sommes qu'il a avancées. Vous voyez ?
André Bercoff : D'accord.
Philippe Murer : Bon, le problème, c'est que le cabinet Advolis se rend compte que, dans les fêtes, l'AGS n'en récupère qu'une petite partie. Et c'est d'ailleurs ça qui étonne tout le monde, MEDEF inclus. D'énormes sommes disparaissent en chemin, les dossiers sont clos sans aucune vérification et sans aucune règle, alors que ça concerne des fortunes. Et il y a des fraudes lourdes, des fautes lourdes, flagrantes, des irrégularités, des malversations des mandataires liquidateurs. Et c'est là qu'on retrouve qu'en cinq ans, 7,7 milliards d'euros, par exemple, de pertes inexpliquées ont été classés sans suite, sans aucune vérification. 7,7 milliards.
André Bercoff : Vous voulez dire classés sans suite ? Circulés, il n'y a rien à voir, c'est ça ?
Philippe Murer : Circulés, on ne regarde pas. Alors que ce n'est pas normal, il y a des choses pas normales et personne ne le regardait. Parce que le second son but, c'est de regarder. Et alors, il y a encore pire. (...)