Espagne : Pedro Sanchez a-t-il fait acte de capitulation ?
Jeudi, le socialiste Pedro Sanchez a été reconduit à la présidence du gouvernement espagnol par le Parlement... Mais à quel prix ? Celui d'une amnistie promise aux organisateurs du référendum d'indépendance contesté de 2017, qui permet à la gauche de diriger le pays sans crainte d'une coalition de droite et d'extrême-droite. Seulement, la stabilité politique du pays est-elle assurée ? Pour en parler, André Bercoff reçoit Benoît Pellistrandi, historien spécialiste de l'Espagne.
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"Sans aucun doute. On est vraiment dans un pays fracturé et qui rejoue sur des fractures traditionnelles."
André Bercoff : Et oui, et oui, que Viva l'España, qui n'a pas entendu ce chant, qui l'aille en Espagne ou pas, etc. Mais que Viva l'España, oui, mais alors, quelle España, justement. Il s'est passé, alors justement, il s'est passé beaucoup de choses depuis ce week-end, depuis les dernières manœuvres à l'Assemblée nationale avec Pedro Sanchez. Bonjour Benoît Pellistrandi.
Benoît Pellistrandi : Bonjour.
André Bercoff : Vous êtes historien, vous êtes spécialiste de l'Espagne et vous avez écrit un livre « Les fractures de l'Espagne » il y a un an chez Folio, chez Gallimard. Alors, est-ce une nouvelle fracture qui s'annonce ?
Benoît Pellistrandi : Sans aucun doute. On est vraiment dans un pays fracturé et qui rejoue sur des fractures traditionnelles. Une fracture entre la gauche et la droite et qui, je dirais, ça pour le coup, participe de la vie démocratique dans nos démocraties. Mais aussi une fracture entre indépendantistes et ceux qui sont attachés à l'Espagne, l'Espagne constitutionnelle telle qu'elle s'est mise en place en 1978. Et sans doute ce qui est le plus grave, c'est que cette constitution de 1978, qui avait fait consensus, elle avait été validée par référendum avec 88% de oui et 91% en Catalogne, avait permis de régler les problèmes qui, en réalité, existaient en Espagne depuis le 19e siècle. Et l'Espagne, comme la France, a connu toute une série de régimes constitutionnels. Et là, pour le coup, on avait, j'allais dire, construit la maison commune de tous les Espagnols. Et ce qu'on assiste, c'est véritablement un travail de sape pour miner cet édifice qui, comme le disent à la fois les responsables politiques de cette période, mais aussi les historiens, a quand même permis à l'Espagne de connaître la meilleure période de son histoire.
"Songez que l'Espagne a le deuxième réseau de trains à grande vitesse derrière la Chine."
André Bercoff : Ça fait de développement, à tout point de vue, de bien-être, etc.
Benoît Pellistrandi : Exactement, songeons, puisque ça fait aujourd'hui 48 ans jour pour jour que le général Franco est mort, songeons aux changements entre l'Espagne de 1975 et l'Espagne d'aujourd'hui. Une Espagne qui est devenue européenne, qui s'est enrichie. Songez que l'Espagne a le deuxième réseau de trains à grande vitesse derrière la Chine. Bon, tout le monde derrière la Chine et devant la France. Donc tous ceux qui ont connu l'Espagne d'avant et l'Espagne d'aujourd'hui savent combien ce cadre démocratique était essentiel pour la prospérité et la paix du pays.
André Bercoff : Alors, Benoît Pellistrandi, revenons aujourd'hui à ce qui se passe en ce moment, ce qui s'est passé. C'est à dire, si j'ai bien compris, corrigez-moi si je me trompe, c'est que Pedro Sanchez, le premier ministre, pour rester au pouvoir, a dillé, si on peut dire, [...] avec des catalans. Exactement.
Benoît Pellistrandi : Exactement. Parce qu'on a eu une campagne électorale, le scrutin était le 23 juillet, et jusqu'au 23 juillet, le discours des socialistes était il ne peut pas y avoir d'amnistie vis-à-vis des catalans, l'indépendantisme doit être combattu, l'amnistie est anticonstitutionnelle.
"Alors, ce qu'on croyait être un mensonge par omission est en train de devenir un mensonge par intention, c'est encore plus grave."
André Bercoff : C'est ce qu'il disait, discours officiel des socialistes de Pedro Sanchez.
Benoît Pellistrandi : Ce qu'on a appris, et c'est presque plus grave, c'est qu'en fait, depuis le mois de mars, ils étaient en train de négocier cette affaire. Donc, ils ont fait campagne en mentant délibérément. Alors, ce qu'on croyait être un mensonge par omission est en train de devenir un mensonge par intention, c'est encore plus grave. Et puis donc, après le 23 juillet, la droite n'a pas eu la majorité nécessaire, alors que les sondages l'annonçaient pour construire l'alternance, et donc Pedro Sanchez a agglutiné 8 groupes parlementaires pour avoir 179 voix qui lui permettaient de passer la majorité absolue, et il a été investi jeudi dernier, il a été élu président du gouvernement espagnol par les Cortes. Donc, il existe incontestablement une coalition parlementaire. Mais est-ce que ça va lui permettre de gouverner, ça c'est une autre histoire, parce qu'il est désormais dans une position absolument intenable, puisque ce sont les indépendantistes catalans qui le tiennent. Et pour compliquer l'affaire...
André Bercoff : Et qui font, oui c'est ça, ils le tiennent et ils font la décision.
Benoît Pellistrandi : Ils font la décision et pour compliquer l'affaire, il y a deux groupes parlementaires indépendantistes catalans, l'un de gauche et l'autre de droite. Et ces deux groupes parlementaires se partagent le même électorat et donc se détestent plus que cordialement. Donc vous allez avoir une surenchère entre ces deux groupes que l'on a déjà vu lors du débat d'investiture, et globalement, et pardonnez-moi l'expression, mais qu'est-ce qu'ils ont dit à Pedro Sanchez ? On te tient à par les... je ne dirais pas.
"Pedro Sanchez aujourd'hui, suscite ce que vous avez rappelé, cette colère des espagnols."
André Bercoff : Par les cojones, disons-le, en espagnol.
Benoît Pellistrandi :On appuiera quand il faudra. C'est un petit peu la difficulté dans laquelle se trouve Pedro Sanchez aujourd'hui, et c'est ce qui suscite ce que vous avez rappelé, cette colère des espagnols.
André Bercoff : Alors justement, parlons des espagnols, comment ils le ressentent ? Parce qu'apparemment, il y a même beaucoup de monde dans les rues, là. Et depuis quelque temps, et ça continue.
Benoît Pellistrandi : Ça continue, vous avez eu, il y a huit jours, cinquante-deux manifestations dans les capitales de province espagnole, qui, selon le Parti populaire, ont rassemblé près de deux millions de personnes, selon le gouvernement. (...)