Le coup de gueule des salariés du CNRS contre le poids de la bureaucratie
Le coup de gueule des salariés du CNRS contre le poids de la bureaucratie : écoutez la réaction d'Elisabeth Lévy
Du lundi au jeudi à 8h10, retrouvez une Elisabeth Lévy cash. Notre éditorialiste donne son avis sur un sujet d’actualité sans tabou et sans interdit.
Retrouvez ci-dessous la retranscription automatique des premières minutes de votre émission :
"Ma médaille d'argent du CNRS m'inspire aujourd'hui du dégoût."
Patrick Roger : 8h15 sur Sud Radio Lévy sans interdit, Elisabeth Lévy bonjour.
Elisabeth Lévy : Bonjour Patrick, bonjour à tous.
Patrick Roger : Je voulais revenir sur une tribune qui dénonce une forme de bureaucratisation du CNRS.
Elisabeth Lévy : Oui, une forme et même une très grande forme parce que vous avez aimé l'absurdité au temps du Covid, bienvenue dans l'enfer kafkaïen du CNRS. Alors c'est un texte qui a été publié dans le monde et qui est signé Pierre Rochette qui est géologue et physicien à Aix-Marseille. Et le titre de ce texte c'est « ma médaille d'argent du CNRS m'inspire aujourd'hui du dégoût ». Oui, cette médaille dont il était si fier, cette médaille frappée des effigies de Cuvier, de Lavoisier et même du penseur de Rodin, eh bien il l'a renvoyé par recommandé à son directeur et il appelle tous les médaillés du CNRS à l'imiter. Car cette colère est largement partagée, deux pétitions circulent, elles ont déjà recueilli 3700 signatures, ce qui est quand même beaucoup pour le CNRS. Et à l'origine de cette colère, eh bien ce ne sont pas les faibles salaires ni le manque de moyens, mais le parcours du combattant bureaucratique qui pompe une part croissante du temps et de l'énergie des chercheurs. Alors Pierre Rochette évoque aussi le juridisme délirant, par exemple la moindre action hors du laboratoire ou avec des tierces personnes, écrit-il, déclenche une avalanche de signatures, de conventions juridiques. Notre système, en réalité, décourage la créativité et encourage la fuite des cerveaux à l'étranger ou dans le privé. Et cette situation calamiteuse a été dénoncée par plusieurs rapports, notamment celui d'experts internationaux qui ont été mandatés par le Haut Conseil à l'évaluation de la recherche de l'enseignement supérieur, qui demandait en mai une opération commando pour simplifier les processus administratifs et réduire le fardeau bureaucratique.
"Alors comment est-on passé de l'administration dont la France était si fière, l'état colbertiste, à cette prolifération de normes et de processus qui compliquent la vie des utilisateurs et semble surtout là pour insulter le bon sens."
Patrick Roger : Est-ce qu'il y a eu des améliorations, alors ?
Elisabeth Lévy : Eh bien d'après vous Patrick, est-ce qu'un rapport à rapport produit toujours des améliorations, on le sait bien. Et d'ailleurs pendant l'été, suite à ce rapport, enfin ça devait être déjà dans les tuyaux avant bien sûr, sont arrivés trois logiciels au nom bucolique, Nautilus, Goélette et Tamine, que tu as acheté au privé pour la gestion des déplacements, qui sont une activité banale des chercheurs. Et là, je peux vous dire que ça n'a pas rigolé dans les labos, [...] et qui bug à la moindre erreur, qui allonge les délais pour tous. Résultat écrit Pierre Rochette, un calvaire indescriptible pour les chercheurs et pour les gestionnaires, pour une mission de deux semaines avec quatre collaborateurs, par exemple un paléo-biogéographe. Alors ça doit avoir quelque chose à voir avec la préhistoire, comme il y a un paléo. Donc un paléo-biogéographe a passé une journée et demie simplement en rentrant de mission à enregistrer les facteurs. Voilà pourquoi nous payons nos chercheurs. Alors comment est-on passé de l'administration dont la France était si fière, l'état colbertiste, à cette prolifération de normes et de processus qui compliquent la vie des utilisateurs et semble surtout là pour insulter le bon sens. Alors évidemment, il y a beaucoup d'explications, je lance une hypothèse, c'est que l'objectif n'est plus l'intérêt général, en l'occurrence dans le cas qui nous préoccupe l'excellence scientifique, mais la pureté bureaucratique. Il faut que ce soit nickel d'un point de vue administratif. Obsédé par la standardisation, par le contrôler, par l'ouverture de parapluies, la machine administrative devient sa propre finalité. Quoi il faut ajouter ? Le gigantisme d'organismes centralisés à la gestion des mammouths comme le CNRS ou l'éducation nationale devient une science elle-même. Alors la conséquence évidemment, c'est le déclassement notable de notre recherche. Si on prend le critère de la part mondiale d'un pays dans les publications, la France a déjà été dépassée par l'Inde, par l'Italie et par la Corée du Sud, et d'autres pays devront encore nous dépasser très vite. Alors voilà, les chercheurs ne brûlent pas de voiture, ils ne se scotchent pas à des tableaux ou à des ordinateurs, ils n'agressent pas la police, du coup leur désarroi n'intéresse guère le public, et bien le public a tort parce que ce qui est en jeu, c'est l'avenir de notre pays.