Dans la foulée des révélations sur les agressions sexuelles d’Harvey Weinstein à Hollywood, de nombreuses femmes dénoncent elles aussi dans la presse et sur les réseaux sociaux les agressions ou harcèlements sexuels dont elles ont été la cible. Parmi elles, le cas d’Henda Ayari fait aujourd’hui beaucoup parler. L’écrivaine, auteur de J’ai choisi d’être libre (éditions Flammarion), a ainsi accusé de viol le célèbre et controversé théologien musulman Tariq Ramadan. Une décision qu’elle assume aujourd’hui, malgré les lourdes conséquences engendrées.
"Certains personnes se sentent intouchables car elles sont persuadées que personne ne brisera cette loi du silence. Ce sont des personnes adulées, protégées, qui se sentent au-dessus de toutes les lois et qui se permettent de faire des choses extrêmement graves. (…) Cela fait des années que je pensais à porter plainte, depuis cette fameuse nuit. J’avais cette envie de le dénoncer, mais je ne trouvais pas la force. Je ne me trouvais pas encore assez prête parce que je doutais de moi, je culpabilisais, et surtout j’avais très peur. J’ai reçu des menaces, et ce sont surtout les menaces contre mes enfants qui m’ont stoppé net. Sans ça, peut-être que j’aurais franchi le pas. En tant que maman, on ne peut pas prendre ce genre de risques. Je me sentais trop faible. Il me disait qu’il était très soutenu, protégé, qu’il savait tout sur moi, qu’il avait des gens qui travaillaient pour lui… Il m’a dit "Tu ne voudrais pas que ta famille soit au courant de ce que tu fais et qu’ils aient une mauvaise image de toi". Ça m’a fait cogiter et m’a poussé à garder le silence. Je me suis dit que par rapport à lui, on ne me croirait jamais et ça se retournerait contre moi", reconnaît-t-elle au micro de Sud Radio.
"Je sortais de chez moi avec la peur au ventre"
Si ses révélations font énormément parler aujourd’hui, Henda Ayari se défend de vouloir faire un buzz médiatique. "Dans le livre, où j’en parle de façon anonyme, des gens m’ont demandé de donner son nom pour rendre service à d’autres femmes. Mais je n’ai pas fait ce livre pour dénoncer Tariq Ramadan. Ce livre, c’est une histoire et un partage de mon parcours parce que j’avais envie de donner un message d’espoir à d’autres femmes, leur dire qu’on peut avoir un faux départ dans sa vie et s’en sortir malgré tout avec de la volonté et de la détermination. C’était mon cas, j’ai eu une vie très difficile. Je suis passé par un mariage forcé, par le salafisme… Je voulais qu’on se concentre sur le témoignage d’une femme qui fonde une association pour défendre les droits des femmes. Il y a eu cette campagne contre le harcèlement, ces actrices qui ont eu le courage de dénoncer ce très puissant producteur. Et je voyais que plus il y avait de témoignages, plus d’autres témoignages arrivaient par la suite dans les médias, sur les réseaux sociaux, etc. Ça m’a beaucoup influencé. Un beau matin, je n’ai pas vraiment réfléchi et je me suis mise spontanément devant mon ordinateur et je me suis dit que moi aussi, j’avais envie de dénoncer mon porc. Pourquoi les autres le font et pas moi ? Il fallait que je le fasse, c’était plus fort que moi. J’en avais besoin à ce moment-là, sans forcément réfléchir aux conséquences d’un dépôt de plainte. J’ai écrit sur Facebook le nom de mon agresseur, et quelques minutes après il y a eu des centaines de partages et malheureusement pour moi des centaines d’insultes et de menaces. Quelques jours après, j’ai même regretté mon geste. Je sortais de chez moi avec la peur au ventre en me disant que j’allais me faire agresser devant chez moi. Quand j’ai vu tous les messages de soutien pour cette personne, ces gens qui se disaient prêts à tout pour lui… On m’a insulté, on m’a dit que j’étais payée par les Juifs… J’ai appris que 5% des recettes de mon livre allaient à l’association Europe Israël, que j’étais un agent du Mossad, etc.", explique-t-elle.
"Une femme musulmane ressent aussi la pression de sa famille"
Assurant n’avoir "aucun regret", Henda Ayari déplore la très forte pression sociale, notamment dans le monde musulman, empêchant une libération totale de la parole des femmes. "Je suis musulmane et je le revendique. Je suis féministe car je défends le droit à l’égalité. Une femme n’est pas inférieure à un homme contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, en particulier dans le monde musulman. Les femmes doivent être respectées en tant qu’êtres humains. La dénonciation d’agressions sexuelles dans le monde musulman est très rare. Je ne suis plus en contact avec ma famille car ils n’ont pas accepté ce livre où je raconte mon parcours. Ça a été très difficile pour eux, j’ai respecté leur choix. Je ne suis plus en contact avec mes demi-frères et sœurs, et c’est peut-être aussi ça qui a fait que j’ai parlé ! Quand vous êtes une femme musulmane, vous avez aussi la pression de votre famille : c’est tabou, c’est honteux... Souvent, on reproche à la femme d’avoir provoqué le désir de l’homme… Dans certains pays musulmans, on oblige les femmes violées à se marier avec leur violeur ! On reproche à la femme de susciter les pulsions sexuelles des hommes. C’est quand même hallucinant. À un moment donné, il est temps que la peur et la honte changent de camp. C’est aux agresseurs de se cacher, de rougir, d’avoir honte et de regretter", clame-t-elle.
Réécoutez en podcast l’interview d’Henda Ayari sur Sud Radio