D'abord mis en cause pour "terrorisme" en 2008, huit membres du "groupe de Tarnac" comparaissent mardi à Paris pour de simples dégradations d'une ligne SNCF et des manifestations violentes, des accusations qu'ils réfutent en dénonçant un procès politique.
Parmi les prévenus renvoyés figurent Julien Coupat, 43 ans, présenté comme le théoricien du groupe, son ex-compagne Yildune Lévy, 34 ans, Elsa Hauck, 33 ans, et Bertrand Deveaud, 31 ans. Poursuivis pour "association de malfaiteurs", ils encourent dix ans de prison.
Les quatre autres prévenus doivent eux répondre de délits mineurs comme le recel de documents volés ou le refus de se soumettre à un prélèvement biologique.
La justice reproche aux principaux prévenus d'avoir, sur le fondement d'une idéologie développée dans un livre qui leur est attribué ("L'insurrection qui vient"), participé au sabotage d'une ligne SNCF à Dhuisy (Seine-et-Marne) et organisé des actions violentes contre des intérêts de l'État, notamment le 3 novembre 2008 lors d'une manifestation à Vichy.
Mais la présidente du tribunal correctionnel sera également confrontée aux critiques de la défense qui dénonce une instrumentalisation du dossier par le politique et conteste les méthodes utilisées par les enquêteurs pour répondre aux attentes du pouvoir.
Lundi, Yildune Levy a ainsi expliqué sur France Inter vouloir dénoncer "les méthodes de l'antiterrorisme" vis-à-vis d'un groupe qui, selon elle, relève d'une "fiction politique, policière puis judiciaire et médiatique".
"Cela a été des années de surveillance, l'hypothèse qu'après le CPE (Contrat première embauche en 2006, ndlr) se serait constitué un groupuscule radicalisé qui s'acheminerait vers la constitution d'un réseau pré-terroriste international", avait résumé en 2016 Julien Coupat. "C'étaient aussi les obsessions de la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie et la première affaire de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur, ndlr) récemment créée", avait-il ajouté.
L'affaire Tarnac avait débuté le 11 novembre 2008 par la spectaculaire arrestation devant les caméras de télévision d'une dizaine de membres d'une communauté libertaire installée à Tarnac, un petit village de Corrèze, par 150 policiers cagoulés.
"Revendication"
La ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie, salue alors l'interpellation de membres de "l'ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome, en lien avec les sabotages" et le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, décrit "une cellule invisible" ayant pour objet "la lutte armée".
Quelques jours plus tôt, les 7 et 8 novembre, des caténaires de quatre lignes SNCF avaient été sabotées dans l'Oise, l'Yonne et en Seine-et-Marne: aucun risque de déraillement mais une véritable pagaille avec plus d'une centaine de TGV bloqués et 20.000 voyageurs en rade.
Le 9 novembre, ces actes de sabotage sont revendiqués auprès de quotidiens allemands dans un texte signé "en souvenir de Sebastian", référence à un militant antinucléaire français mort en 2004, écrasé par un train Castor de transport de déchets nucléaires. Mais pour les enquêteurs français, cette revendication n'exclut en rien la piste hexagonale.
Cependant, faute de preuves matérielles, l'enquête s'enlise et les neuf mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes sont remis en liberté, le dernier étant Julien Coupat après six mois de détention. Huit d'entre eux seront finalement renvoyés au tribunal.
"Il apparaît de plus en plus clairement que la qualification terroriste a été utilisée imprudemment", dénonce alors le président du Conseil général de Corrèze, François Hollande, parlant de "ratage policier", d'une "palinodie judiciaire" et "d'une affaire politique".
Après neuf ans d'enquête et de polémiques, la Cour de cassation a finalement abandonné la qualification terroriste en 2017.
Aujourd'hui, l'accusation repose sur un procès-verbal de surveillance policière du couple Coupat-Levy la nuit du sabotage de Dhuisy, même si aucun des 18 agents impliqués dans la filature ne les a vus effectuer le sabotage.
La défense conteste la véracité du document qui serait, selon elle, truffé d'erreurs sur les horaires et sur la présence même de certains policiers sur place. Elle réclame un transport du tribunal sur les lieux du sabotage pour mettre en évidence des "invraisemblances".
Les avocats des prévenus ont également cité à comparaître les policiers impliqués dans la surveillance mais ces derniers devraient témoigner anonymement à l'audience comme la loi le leur permet.
Le procès Tarnac est prévu jusqu'au 30 mars