L'affaire, révélée par Le Maine libre, remonte au 24 août 2013 : des policiers intervenus dans l'appartement d'Aïda (le prénom a été changé) et de son compagnon - qui avait agressé un ami commun - conseillent à la jeune femme, âgée alors de 25 ans, de ne pas dormir chez elle. Selon ses avocats, Aïda envisage alors de se rendre dans sa famille à Alençon, mais il est trop tard pour prendre le train. Elle appelle le 115 et envoie des textos à des amis, en vain, puis revient chez elle. "Aïda subissait des violences habituelles, qui n'avaient pas donné lieu à hospitalisation, mais ce soir-là, il ne l'avait pas violentée", a précisé à l'AFP son avocat Me Mathias Jarry.
À son retour, le compagnon d'Aïda s'en prend à elle. Alertée dans la nuit par des voisins, la police la découvre gisant au pied de l'immeuble : l'homme venait de la jeter, inconsciente, du deuxième étage. Aïda reste paraplégique et son agresseur est condamné à 15 ans de prison. Dans son arrêt civil de juin 2016, la cour d'assises fixe la provision pour l'indemnisation de la victime à 90.000 euros. Ses avocats Me Jarry et Me Julie Dodin saisissent alors la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi) pour que l'Etat, via le Fonds de garantie des victimes (FGTI), verse cette provision pour financer les conséquences du handicap. Mais le Fonds propose une indemnisation partielle, estimant "qu'il y a partage de responsabilités et que notre cliente a commis une faute civile en retournant à son domicile", commente Me Jarry.
Jugeant cette position "aberrante", les avocats saisissent la Civi, qui siège auprès de chaque tribunal. Le 13 février 2018, elle retient également le partage de responsabilités et propose de verser 67.500 euros. Les avocats ont fait appel, et une audience se tiendra le 27 mai 2019. Dans ses conclusions fin novembre, l'avocat général de la cour d'appel d'Angers confirme la faute partagée de la victime et demande une provision encore réduite. "Ce qui nous a choqués, c'est qu'il a écrit le mot victime entre guillemets, comme si notre cliente n'était pas une vraie victime", dénonce Me Jarry.
"La position du Fonds de garantie est très choquante", a réagi Me Dodin. "Il n'y a pas de jurisprudence sur la question et aucune Civi n'a encore jamais eu l'audace de retenir la faute d'une victime de violences conjugales". Interrogée par l'AFP, la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a estimé que c'était "profondément choquant et incompréhensible". "Considérer qu'une femme est responsable, même partiellement, même administrativement des violences qu'elle subit va à l'encontre de tout le travail de conviction que nous menons (...) pour convaincre qu'une femme n'est jamais responsable des violences qu'elle subit", a-t-elle souligné, se disant prête "si c'est avéré et dans ces termes" à "intervenir personnellement".
Interrogé par l'AFP, le Fonds de garantie a expliqué agir "au nom de la solidarité nationale et sous le contrôle du juge", rappelant des faits évoqués en audience, dont son retour à l'appartement et la consommation de stupéfiants. "Le juge (de la Civi, NDLR) a estimé que l'indemnisation devait être limitée en raison d'une faute de la victime. La loi prévoit en effet que la victime qui contribue, par sa faute, à son dommage peut voir son droit à l'indemnisation réduit et même parfois supprimé", poursuit-il. La provision de 67.500 euros a été intégralement réglée bien qu'il y ait un appel, selon lui.
En France, une femme meurt tous les 3 jours de faits de violences de son conjoint ou ex-conjoint.