L’incarcération de Patrick Balkany a suscité, semble-t-il, une dégoûtante euphorie dans une partie de l’opinion. Un article de Jean-Loup Delmas dans 20 minutes relate l’explosion de joie qui, sur les réseaux sociaux, a immédiatement suivi l’annonce du jugement. Selon le politiste Philippe Moreau-Chevrolet, interrogé dans l’article, «cela a été ressenti comme une sorte de victoire nationale. Aujourd’hui, les gens sont réellement heureux lorsqu’ un politique tombe ».
Toutes sortes de gens qui n’ont sans doute jamais eu à souffrir des agissements du maire de Levallois lui ont souhaité les pires avanies en prison, indignés qu’il jouisse d’une cellule individuelle. En somme, on se creuse la tête pour trouver des excuses aux frères Kouachi, mais des fraudeurs fiscaux comme Cahuzac ou Balkany seraient des monstres ne méritant pas la moindre compassion. La facilité avec laquelle nous privons de toute humanité un type qui a piqué dans la caisse en dit peut-être long sur nous.
Il ne s’agit pas d’excuser la fraude fiscale. Mais le fraudeur n’est pas non plus un serial killer. Cette joie mauvaise de voir le puissant d’hier à terre est peut-être ce que l’esprit sans-culotte nous a légués de pire. Derrière l’amour de la justice, il y a souvent les passions tristes : l’envie la jalousie et la haine impuissante. D’ailleurs, Montesquieu disait que même en matière de vertu il faut de la modération. Ces réconciliations générales où tout le monde arbore sa probité sur le dos du bouc émissaire du moment ont quelque chose d’écoeurant. Un peu de charité chrétienne ne nuit pas. Un peu d’humilité non plus. Il n’est pas sûr que ceux qui jettent la première pierre n’aient jamais péché.
Le même déluge de ricanements et d’injures s’est abattu sur les amis de Balkany qui lui ont témoigné leur affection. D’innombrables internautes, qui confondent sans doute leur aigreur avec de la hauteur morale et leur haine avec du courage politique, ont ainsi souhaité à Nicolas Sarkozy de connaître bientôt le même sort que celui de Balkany – vu l’état des dossiers, ils vont être déçus.
En réalité, personne n’a défendu Balkany, puisque personne, pas même lui, ne prétend qu’il est innocent. Il s’agit de fidélité. Pour avoir l’approbation des réseaux sociaux il faudrait que Sarkozy et les autres lâchent un vieux copain en prenant des airs outrés.Il faut avoir une drôle de conception de l’honneur pour exiger d’un personnage public qu’il se détourne d’un ami à terre. Rappelons ce que chantait Georges Brassens dans l’impérissable Auvergnat :
« Elle est à toi cette chanson
Toi l'étranger qui sans façon
D'un air malheureux m'a souri
Lorsque les gendarmes m'ont pris
Toi qui n'as pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir emmené »Patrick Balkany n’est pas un saint. Et pas non plus un monstre. Si de nombreux habitants de Levallois le soutiennent, c’est peut-être qu’en dépit de la propagande incessante sur la moralisation, les électeurs sont peut-être plus soucieux d’efficacité que de probité. Et qu’ils savent qu’un excès de vertu peut mener à la terreur.