Pourquoi la prison française n’empêche-t-elle pas la récidive ?
L'épouse du gendarme de 54 ans, mortellement fauché lors d'un refus d'obtempérer à Mougins, a dénoncé dans sa première prise de parole "le laxisme" et "l'excès de tolérance" du pays envers les multirécidivistes comme le chauffard responsable du décès de son mari.
Linda Kebbab : "Les conditions d'incarcération en France ne sont pas à la hauteur de notre objectif"
"En réalité, la prison française n'a pas aujourd'hui la capacité à faire sortir les gens du parcours délinquant, à les réinsérer. Pour certains profils, c'est très compliqué, et on a peut-être peu de chances de réussir à les resociabiliser et faire d'eux des personnes honnêtes. Mais il y a une grande partie de la population carcérale face à laquelle les moyens sont absolument insuffisants. Vous parlez de surpopulation carcérale, mais le fait d'être emprisonné avec des personnes qui entre elles s'entraînent à être des délinquants plus forts que le voisin d’à côté… je suis désolée, mais c'est absolument pas la solution ! Je pense que les conditions d'incarcération en France ne sont pas à la hauteur de notre objectif. Parce que la prison, c'est deux choses. Un, c'est réparer la victime parce que parfois, il y a des victimes qui ont besoin que l'auteur aille en prison pour avoir le sentiment d'être réparées. Deux, c'est de mettre la société en sécurité en bannissant de cette société les auteurs [de délits], et c’est ça aussi, la vertu de la prison, c'est de les mettre au ban de la société. Et la troisième chose, c'est que la prison doit permettre de faire en sorte que ce parcours délinquant cesse. Et notamment avec un vrai programme de réinsertion, d'apprentissage, etc. Et là-dessus, on est à la ramasse en France, on est complètement zéro pointé !", a estimé Linda Kebbab.
Philippe-Henry Honegger : "Vous mettre en prison, ça ne servira à rien pour empêcher que vous recommenciez"
Comme le rappelle Philippe-Henry Honegger, là où la justice a visiblement failli, c’est qu’elle n’a pas permis de faire en sorte que ce condamné ne recommence pas. "Le cas en l'occurrence, c'est un garçon qui, visiblement, à au moins une dizaine de reprises, a soit commis des violences, soit commis des infractions routières (probablement des conduites sans permis ou des conduites en état alcoolique ou sous l'emprise de stupéfiants). La question qu'on se pose, c'est ce monsieur, comment on fait pour qu'il ne recommence pas ? Comment on fait pour ne pas en arriver aux faits qui nous occupent aujourd'hui ? Parce que les faits qui nous occupent aujourd'hui sont sans commune mesure avec son passé. On a un mort, il y a eu une réponse judiciaire qui est venue immédiatement, qui est ferme, il est placé en détention provisoire. On étudiera la question, mais probablement que, s'il est condamné, on aura une peine qui sera à la hauteur de la gravité.
Alors, comment faisait-on avant pour empêcher d'en arriver là ? Ce que nous disent toutes les études depuis une vingtaine d'années, c'est que si vous avez conduit en état alcoolique, si vous avez conduit sans permis, si vous vous êtes battu dans votre vie, vous mettre en prison, ça ne servira à rien pour empêcher que vous recommenciez. Ce qui va servir, c'est que vous ayez un suivi social, c'est que vous ayez des gens derrière vous pour, par exemple, vous faire passer votre permis de conduire. Que vous alliez voir des psychologues ou des alcoologues pour vous empêcher de recommencer à consommer. Ça, ça marche. Mais le problème, c'est que comme l'ambiance générale de notre société et de dire : ‘il faut mettre tout le monde en prison, il faut mettre tout le monde en prison’, on ne met pas les moyens là où il faudrait les mettre", a estimé Philippe-Henry Honegger.
Récidive : "Ça ne sert à rien de condamner plus et plus fort pour tout un tas d'infractions"
"La question, c'est : 'est-ce que quand on a commis dix infractions dans sa vie, on doit être en prison jusqu'à la fin de sa vie ?'. Non, non, je ne comprends pas cette indignation-là. Parce que c'est l'indignation de gens qui ne connaissent pas le système judiciaire, qui ne connaissent certainement pas les faits pour lesquels ce monsieur a été condamné. Et surtout, je crois, il y a un véritable problème pédagogique de comment doit fonctionner la justice. Et surtout, qu'est-ce qui marche et qu'est-ce qui ne marche pas ? Aujourd’hui, on a un recul sur la manière dont les condamnations, et notamment les incarcérations, fonctionnent en termes de récidive. Si le but qu'on s'accorde tous à avoir est de dire : ‘à travers les condamnations qui sont prononcées, ce qu'on veut, c'est éviter au maximum la récidive’… Je vous donne la réponse qui est celle d'études scientifiques qui ont été faites avec le temps : ça ne sert à rien de condamner plus et plus fort pour tout un tas d'infractions", a poursuivi Philippe-Henry Honegger.
Alors, qu'est-ce qu'il aurait fallu faire pour un homme qui récidive et, manifestement, a été condamné dix fois ? Parce que, manifestement, ce qui a été fait n'a pas marché. "Je suis d'accord sur une chose, c'est que la prison française (je ne sais pas pour les autres pays) est un incubateur à récidives. Mais la plupart des personnes qui vont en prison sont déjà des récidivistes. Puisque vous avez eu la pertinence de faire la dissociation entre les infractions et les condamnations. Il a été en effet condamné dix fois, or il est connu pour bien plus de faits et il a été aussi parfois bénéficiaire de rappels à la loi", a répondu Linda Kebbab.
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