Cette invitation déguisée est-elle surprenante ?
Philippe Migault : "Zelensky est bien obligé de faire des concessions"
"Cette invitation n'est pas surprenante dans la mesure où l'Ukraine est dans une situation extrêmement difficile. Volodomyr Zelensky a dit : 'Si le monde entier veut voir la Russie à la table de négociations, alors nous ne pouvons pas être contre'. Tout le monde, c'est-à-dire les alliés des Ukrainiens, c'est-à-dire les États-Unis et l'Union européenne. On est en train de lui dire qu’on ne sort pas de cette crise, qu'il serait temps de venir à la table des négociations. D'autant plus que, sur le terrain, la situation militaire tourne à la déconfiture pour les armées ukrainiennes. Le terme est un peu fort, mais concrètement, ce sont les Russes qui ont l'initiative depuis des mois, ce sont les Russes qui conquièrent de plus en plus de territoire, lentement mais sûrement. Et l'armée ukrainienne n'arrive plus à freiner la progression russe.
Donc Zelensky est bien obligé de faire des concessions, un, parce que ses alliés le veulent. Deux, parce qu'il est dans une conjoncture politique extrêmement compliquée. Pourquoi ? Parce qu'on voit bien qu'aux États-Unis, le pourcentage de chances que Donald Trump arrive à la Maison-Blanche est loin d'être négligeable. Et il pourrait très bien se retrouver en janvier prochain avec Trump à la Maison-Blanche, privé de son principal allié américain, isolé complètement vis-à-vis de Vladimir Poutine, parce que ce n'est pas l'Union européenne qui peut prendre le relais des États-Unis", a estimé Philippe Migault, directeur du Centre européen d’analyse stratégique.
Dominique Trinquand : "Tant les Ukrainiens que les Russes doivent avancer sur le terrain pour être en position plus confortable pour négocier"
Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU et auteur de Ce qui nous attend (Éditions Robert Laffont), estime que si Volodomyr Zelensky fait ses déclarations, c’est pour se protéger vis-à-vis de la Rada, le parlement ukrainien. Tout d’abord, l’Ukraine est-elle dans une mauvaise passe aujourd’hui ? "La Russie avance, mais avance pied à pied, petitement et avec beaucoup de pertes. L'Ukraine est loin de ses objectifs, qui était de reprendre les frontières internationalement reconnues en 1991. Je pense que la première réunion qui a eu lieu en Suisse, réunion sur la paix dans laquelle les Russes n'étaient pas présents, a permis de faire le point. Et les alliés de l'Ukraine ont probablement fait passer le message en disant : ‘Écoutez, vous n'atteindrez jamais l'objectif de rétablir les frontières internationalement reconnues. Donc, il s'agit de discuter’. Le président Zelensky avait déjà dit de façon subliminale dans une université il y a plusieurs mois : ‘Vous savez, reconquérir le Donbass, ça va être extrêmement difficile. Et le garder, encore plus difficile parce qu'il n'y a plus que des populations pro-russes’. Donc, tous ces éléments conduisent le président Zelensky à changer de position. Ce qui n'est pas facile, parce que je rappelle qu'il y a une loi qui a été votée à la Rada qui lui interdisait de négocier avec Monsieur Poutine. Donc, quand il dit ‘Tout le monde veut y aller, et donc on est bien obligés d'y aller’, il cherche à se couvrir vis-à-vis de la Rada d'une certaine façon."
"Les Russes, c'est intéressant, n'ont pas refusé du tout, ils ont dit : ‘On va étudier la situation’. Je pense que les Russes ne sont pas non plus dans une situation brillante. Ils ont retiré 9 des 13 responsables du ministère de la Défense russe, ça prouve quand même qu'il y a un petit problème. Ils sont obligés d'importer des armes d'Iran et de Corée du Nord. Donc là aussi, il y a un petit problème, ils ont perdu beaucoup de monde. Simplement, le président russe, après avoir initialement, il y a deux ans et demi, voulu annexer l'Ukraine, maintenant veut annexer les quatre oblasts qu'il a décidées en septembre 2022 qu'ils faisaient partie de la Russie. Or, il n'y est pas. Donetsk, ça avance. Il a des chances peut-être d'avoir l'oblast de Donetsk complètement. Louhansk, un petit peu aussi. En revanche, les deux autres, Zaporijjia et Kherson, il a peu de chances de les avoir. Donc lui aussi, il faut qu'il avance sur le terrain pour être en position plus confortable pour négocier. Mais j'ai peur qu'il ne puisse pas pouvoir annoncer qu'il est capable de négocier avec ces quatre oblasts. Donc, il va falloir qu'il révise également son jugement", a poursuivi Dominique Trinquand.
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