Le 31 janvier 2025 à 21 heures, Canal+Docs diffuse "Kaboul chaos - sous la menace des Talibans", un documentaire inédit de 90 minutes qui sera ensuite disponible sur Mycanal. David Martinon a aussi écrit un livre : "Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul".
David Martinon : "Ça a été fait en accord avec Paris… mais je n'attends pas que Paris se réveille pour prendre les décisions qui s'imposent"
La fuite de David Martinon a-t-elle été autorisée par Paris ? L’ancien ambassadeur est ambigu là-dessus. "Ce que l'on a fait, nous l'avions prévu, nous l'avions organisé, anticipé, ça a été fait en accord avec Paris. Mais c'est sûr que le dimanche 15 août, à 6 heures du matin, quand j'apprends que la ville de Jalalabad, qui est la dernière grande ville à l'est de Kaboul, est tombée, je n'attends pas que Paris se réveille pour prendre les décisions qui s'imposent. Donc ça, c'était bien sûr sous mon autorité unique."
David Martinon raconte avoir même pris des décisions contre l’avis du chef du RAID, notamment en décidant d’ouvrir les portes de l’ambassade aux 300 Afghans qui étaient amassés devant. "C'est ma décision de chef de poste, d'ambassadeur. Je comprends ses appréhensions, ses réticences, mais je sais aussi qu'il me fait confiance et qu'il respecte mon autorité. On se fait confiance, on a une cohésion très forte, et il sait que je ne prends pas de décisions nécessairement absurdes. Et ensuite, c'est un policier français, et il incarne de ce point de vue-là le meilleur de la police française, c'est à dire le respect de l'autorité, les valeurs républicaines."
"On préfère se tromper en équipe plutôt que se tromper seul"
Comment David Martinon a-t-il compris que l’Afghanistan était sous le point de tomber aux Talibans ? "C'est une addition de plusieurs choses. Tout d’abord, c'est une anticipation. Et l'anticipation, ça part de l'analyse. Moi j'ai beaucoup analysé avec mon équipe : avec mon attaché de défense, avec mon attaché de police, avec mon équipe de la DGSE… comment les choses s'imbriquaient, combien de temps l'armée afghane pouvait résister sans le soutien de l'OTAN etc. Et notre conclusion a été que, à partir du moment où l'armée afghane devait combattre seule, sans le soutien de l'OTAN, elle ne tiendrait pas longtemps.
La deuxième chose, c'est une bonne compréhension de la vie politique américaine. Le reste de la communauté internationale pensait qu’on est en fin du mandat Trump et à l'approche de la présidentielle. Tout le monde se disait : 'Trump va perdre, et Biden va être élu. Et avec Biden, ce sera le retour à une situation habituelle'. J'étais persuadé du contraire. D'abord parce que Trump n'était pas battu d'avance. Et ensuite parce que Biden avait lui aussi sa position très claire sur l'Afghanistan et sur la nécessité de mettre absolument un terme à l'engagement américain en Afghanistan.
Et puis, vous avez des biais cognitifs. Quand on est diplomate, on passe beaucoup de temps à se concerter avec les autres, évaluer, échanger des informations pour arriver à la meilleure position. Il y a des mécanismes cognitifs qui font que vous faites votre analyse, vous arrivez à un scénario A, une hypothèse A. Si tous les autres arrivent à une hypothèse B, vous êtes tenté de penser qu'ils ont raison. Et deuxièmement, il y a aussi un autre scénario qui vous pousse à vous ranger à l'opinion majoritaire, même si vous pensez que vous avez raison. Parce que vous avez un risque en réputation si vous êtes seul à vous tromper. Et au fond, vous préférez vous tromper en équipe plutôt que vous tromper seul", a expliqué l’ancien ambassadeur.
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