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Elisa Jadot : "Une thématique qui fait les ados rester longtemps sur TikTok, c'est autour de la santé mentale"

Par Aurélie Giraud et

Elisa Jadot, réalisatrice, et Maître Laure Boutron-Marmion, avocate, étaient les invitées de Valérie Expert et Gilles Ganzmann le 11 décembre 2024 sur Sud Radio dans "Le 10h - midi".

Elisa Jadot et Laure Boutron-Marmion
Elisa Jadot et Laure Boutron-Marmion, invitées de Valérie Expert et Gilles Ganzmann dans "Le 10h - midi" sur Sud Radio.

Elisa Jadot a réalisé un documentaire diffusé hier sur France 5, mais disponible en replay sur francetv.fr : "Emprise numérique, 5 femmes contre les Big 5".

Elisa Jadot : "C’est la première fois qu'un tribunal reconnaissait la responsabilité de la plateforme dans le suicide d'une jeune fille"

Comment est venue l’idée de ce documentaire ? "C'est le troisième film que je réalise sur le numérique et ses conséquences sur la santé mentale des adolescents. En fait, quand on commence à rentrer et à enquêter dans cet univers, c'est comme ouvrir la boîte de Pandore. À chaque fois, je me rendais compte de choses encore plus terrifiantes, encore plus surprenantes. Et puis j'ai eu l'occasion de lire des témoignages, notamment le témoignage d'un papa en Angleterre, dont la fille, Molly Russell, s'est suicidée à cause de son addiction aux réseaux sociaux. Et c'est la première fois qu'une plainte a été déposée contre TikTok en Europe. Et la première fois qu'un tribunal reconnaissait la responsabilité de la plateforme dans le suicide d'une jeune fille. Là, je me suis dit : ‘Quand même…’", a répondu Elisa Jadot.

Et comment peut-on se suicider parce qu'on a une addiction à TikTok ? "Comme on le montre dans le film, la problématique des réseaux sociaux, qui peuvent être très bien et très éducatifs par ailleurs, c'est les algorithmes. Les algorithmes sont conçus pour faire rester un maximum de temps l'utilisateur sur la plateforme, c'est comme ça que les plateformes gagnent de l'argent. Les algorithmes sont conçus pour choisir, en fonction de l'âge de l'utilisateur, les contenus qui peuvent le faire rester. Peut-être pour vous, ce sera du foot, des vidéos de cuisine. Mais pour les adolescents, qui sont déjà, on le sait, à cet âge-là, en souffrance, en détresse, en perte de repères, qui sont en train de passer à l'âge adulte… Finalement, une des thématiques qui les fait rester très longtemps, c'est autour de la santé mentale. Et donc l'algorithme l'a bien compris depuis des années, en récoltant les données des utilisateurs. Donc, ils ont remarqué que ces problématiques liées à la santé mentale, à la dépression, à la scarification, l'automutilation sont des contenus qui font rester les enfants longtemps sur la plateforme. Et donc, ils les suggèrent en masse."

"Ça fonctionne un peu comme un étouffoir"

Dans ce documentaire, il y a une jeune fille qui a des idées noires, et elle se confie à TikTok. Et à ce moment-là, on lui envoie d'autres ados qui ont aussi des idées noires. Et elle se dit : ‘ah ben, finalement, c'est pas si grave que ça, parce que d'autres ados y pensent’. Et puis elle a même des suggestions de comment se suicider… "Ça fonctionne un peu comme un étouffoir. C'est-à-dire ce qui s'est passé pour Marie… l'idée, ce sont des jeunes qui, à un moment, soit vont publier une vidéo qui exprime leur mal-être et qui montre qu'ils ne vont pas bien. Soit ils vont aller voir un contenu un peu sur ces sujets-là. Et alors là, c'est la déferlante. Et c'est ce que montre très bien le documentaire, c'est le côté biberonnage, avec du contenu, encore et encore et encore. Qui, évidemment, dans la tête d'un adolescent vous fait dire : ‘ah ben, finalement, c'est OK de penser au suicide, c'est pas grave’. Et ça le valide. Et cela le verrouille dans l’idée de se suicider. À un point tel qu’aujourd'hui on en est à des vidéos qui carrément disent : ‘Voilà, ce soir, je vais en finir, ça y est, je suis convaincu’", a raconté Elisa Jadot.

Laure Boutron-Marmion : "J'ai des jeunes filles qui aujourd'hui ont les bras et les jambes entièrement couvertes de cicatrices"

Comment démontrer le rôle du visionnage de TikTok dans un suicide ? "En termes juridiques, ça ne fonctionne pas nécessairement comme ça. Évidemment qu'on a fait un travail de fourmi avec chaque histoire de ces jeunes, on est allés fouiller leurs comptes : qu'est-ce qu'ils ont publié, pourquoi ça n'a pas été censuré etc. D'abord, il y a un premier élément de droit : la plateforme s'engage elle-même dans sa charte d'utilisation ’Je vous garantis un environnement sain, vous, utilisateur, donc rassurez-vous, ces contenus-là sont illicites, ils sont censurés, ils sont modérés’. Force est de constater que ce n'est pas le cas.", a expliqué Laure Boutron-Marmion.

"Ensuite, c'est très facile de voir poindre le lien de causalité entre la dégradation vertigineuse de l'état de santé du jeune par rapport à ce qu'il a visionné, tant c'est rapide et énorme. Je vous donne un exemple : sur la scarification, on n'est pas sur une ou deux cicatrices. Moi, j'ai des jeunes filles qui aujourd'hui ont les bras et les jambes entièrement couvertes de cicatrices. Ce qui montre cette amplification algorithmique par la rythmique même du réseau social. Ces contenus sont largement diffusés sur les plateformes. Et j'ai essayé d'être très édulcorée aussi dans ce que j’ai montré, pour que les spectateurs ne soient pas non plus trop choqués par les contenus. Mais moi, j’y ai été confrontée puisque j'ai créé un profil d'une adolescente pour prendre conscience de ce qui était vraiment proposé, suggéré aux adolescents. On parle de plaies qui sont fraîches, on parle de sang très rouge qui dégouline. On ne parle pas juste d'une cicatrice, d'une blessure d'il y a trois jours. On parle d'une scarification qui vient d'être réalisée, mise en avant par la personne, et c'est largement commenté", a poursuivi Laure Boutron-Marmion.

"Pour le jeune, c'est un cocktail absolument mortifère"

Quel est donc le rôle de TikTok ? "C'est la conjonction de deux choses. Une application est addictive, parce que de toute façon, on a créé les réseaux sociaux pour ça. S'ils ne sont pas addictifs, ils ne sont pas intéressants puisqu'on ne passe pas du temps dessus. Aujourd'hui, une plateforme, elle gagne de l'argent si son utilisateur reste du temps dessus. Et la deuxième chose, c’est la non-modération des contenus. Et donc, pour le jeune, c'est un cocktail absolument mortifère, puisqu'il se retrouve non seulement avec une application déjà addictive par essence, mais sur des contenus qui parlent du suicide et de la scarification", a expliqué Laure Boutron-Marmion.

Comme l’explique Laure Boutron-Marmion, les réseaux sociaux ont intérêt à faire perdurer le statut quo parce que cela leur rapporte énormément d’argent. "Méta a donné une valeur à chaque adolescent, qui est de 270 dollars. Mais quand on prend conscience qu'il y a plus d'un milliard d'adolescents connectés aux réseaux sociaux, vous multipliez 270 dollars par un milliard. Vous comprenez les revenus que ça génère ?"

Retrouvez “L'invité média” de Gilles Ganzmann chaque jour à partir de 10h00 dans “Sud Radio Média” avec Valérie Expert.

Cliquez ici pour retrouver l'intégralité de l’interview média en podcast.

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