Natacha Polony : "On ne peut plus se permettre d'avoir une présidentielle encore une fois confisquée"
Natacha Polony a repris la direction de la rédaction de l'hebdomadaire Marianne il y a 2 ans et demi, et lancé la série "ces débats que les politiques devraient avoir", qui sort tous les 56 jours. "On a voulu qu'il y ait une régularité, parce qu'on s'inscrit dans la perspective de l'élection présidentielle, explique-t-elle. On ne peut plus se permettre d'avoir une présidentielle encore une fois confisquée et qui se focaliserait sur des sujets totalement annexes. Il faut poser certains problèmes et nous participons au débat démocratique".
Le premier de la collection portait sur la dette, le second porte sur la laïcité ; un numéro extrêmement riche, souligne Valérie Expert, sur l'histoire de la laïcité. "C'est un sujet essentiel et ce mot est beaucoup abîmé, galvaudé, estime Natacha Polony. Quand j'étais jeune journaliste et que j'ai commencé à m'intéresser à ces questions, tout le monde s'en foutait ! se souvient-elle. En 2005, c'était les 100 ans de la loi de séparation des Églises et de l'État, j'ai essayé d'organiser des choses, il n'y avait personne, ça n'intéressait pas ! déplore-t-elle. Et tout à coup, tout le monde s'est saisi de ce mot, mais en le vidant de sa substance, en tordant l'histoire de ce mot, en en faisant un principe juridique alors que c'est un principe politique, en expliquant que la laïcité se confondrait avec la loi de 1905. Or, le mot laïcité n'y apparaît pas puisque c'est une loi de séparation des Églises et de l'État qui est en fait l'aboutissement de tout le processus de la laïcité à la française. C'est ce qu'on explique dans ce hors-série".
"La France est le seul pays au monde où ce ne sont pas les bigots qui décident comment on va organiser l'espace public"
À la question 'qui pour redresser la France en 2022 ?', Natacha Polony répond : "C'est pour ça qu'on fait ce travail sur la question de fond, je ne suis pas là pour dire pour qui il faut voter mais expliquer aux gens quels sont les moyens de se décider et sur quels critères. Pour elle, la question de la laïcité est un critère essentiel car ça relève de l'histoire de la France et de sa spécificité. Tous les pays au monde font référence à Dieu, les États-Unis par exemple mettent le mot Dieu dans chaque phrase, souligne-t-elle, et les pays musulmans évidemment aussi. Il y a un pays au monde où ce ne sont pas les bigots qui décident comment on va organiser l'espace public, comment on va décider de nos vies, laissez-le nous ! réclame-t-elle. Les êtres humains sont maîtres de leur destin !"
Pour Natacha Polony, "nous sommes pris en étau : il y a d'un côté une société comme toutes les sociétés européennes en voie de sécularisation. La France, qui était encore plus que les autres sécularisée, se retrouve tout à coup confrontée à une religion qui est au contraire dans une phase d'affirmation de sa part la plus ritualiste : l'islam. Dans le monde entier, l'islam se débarrasse de tous les courants passionnants spiritualistes pour aller vers les courants les plus radicaux. Ça ne peut donc pas coller ! estime-t-elle. Selon elle, il y a un aveuglement total. L'autre partie de la tenaille est la globalisation culturelle qui nous impose petit à petit une vision de l'organisation des sociétés communautariste, avec l'idée d'une liberté individuelle réduite à son plus simple appareil, où chacun fait ce qu'il veut, au nom de la tolérance".
"Ce n'est donc pas un hasard si la presse anglo-saxonne, américaine, est en train de mener un combat d'une violence incroyable contre la laïcité à la française", affirme-t-elle.
"La peur d'être accusé de ne pas être quelqu'un de bien est en train de laisser gagner les activistes"
"Nous sommes dans une société qui a de plus en plus de mal à penser le politique, déplore la journaliste. Chacun réagit selon un moralisme qui consiste à accuser les autres de ne pas être dans le camp du bien. Et pour être dans le camp du bien, il faut être gentil, tolérant, accepter chez les autres même l'intolérable pour montrer qu'on est quelqu'un de bien, d'ouvert. À l'école, au boulot, dans les rédactions, au sommet de l'État : tout le monde a la trouille d'être accusé de ne pas être quelqu'un de gentil, de bien et cette peur est en train de laisser gagner ceux qui sont des activistes et pourtant totalement minoritaires".
"L'un des grands moments historiques qui expliquent la laïcité à la française est 1789, souligne Natacha Polony. Ce moment où un peuple assemblé dit qu'il n'y a plus de souverain qui décide pour nous, nous sommes souverains. C'est une espérance extraordinaire, un projet magnifique de dire aux êtres humains qu'ils sont libres, c'est exigent et difficile mais collectivement nous allons décider ce que nous voulons, nous nous fixons nos propres lois. Malheureusement, ça a disparu aujourd'hui, regrette-t-elle. Aucun politique ne rappelle combien c'est absolument génial dans l'histoire de l'humanité, à quel point il faut préserver cette idée qu'il n'y a pas de meilleur régime politique que celui où nous allons décider tous ensemble.
Par absence de perspective historique, par inculture, parce qu'ils se sont laissé bouffer par le néo-libéralisme, le politique recule derrière l'économie. Il faut redonner cette espérance, ce projet commun qui est la seule façon pour que la laïcité ne soit pas perçue par certains comme une oppression ou une religion parmi les autres mais comme un projet qui nous englobe tous".
"Ça fait des années que les universités sont les laboratoires de l'importation de l'idéologie américaine"
Sur les universités, "et en particulier les différents sciences po, ça fait des années qu'ils sont les laboratoires de l'importation de l'idéologie américaine, déplore Natacha Polony. L'idée que les minorités seraient oppressées par la majorité, c'est-à-dire le mâle blanc de plus de 50 ans pour faire vite, et qu'il faudrait en permanence respecter ces minorités, avec la conception la plus minimaliste du respect qui consiste à laisser faire tout ce qu'on veut ! C'est ce qui se joue à sciences po Grenoble, estime-t-elle, avec l'aboutissement qui est une forme de pilori monstrueux pour ceux qui disent quelque chose qui déplaît. On réinvente la stigmatisation, l'inquisition, c'est le grand retour des bigots !"
"Je crois à la gauche de Jaurès !"
Natacha Polony affirme être de gauche : "j'incarne ce qu'on appelait autrefois la gauche républicaine ! Depuis des années, une petite partie de la gauche s'arroge le droit de décider qui est de gauche et qui est de droite, dénonce-t-elle. Et donc quiconque n'est pas gauchiste, n'est pas pour le progrès infini des droits individuels est forcément de droite. Mes positions en matière d'économie et de social sont beaucoup plus progressistes que beaucoup de ces gens qui croient avoir le monopole de la gauche ! Moi, je crois à la gauche de Jaurès !"
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