Gino Bartali ou Fausto Coppi. Le pieux catholique venu de Toscane ou le fils de paysans du Piémont. Le tenant du vieux monde ou l’icône de la modernité. Au tournant de la Seconde Guerre mondiale, la rivalité entre ces deux immenses champions de cyclisme, tous deux vainqueurs à plusieurs reprises du Tour de France et du Giro d’Italie, a profondément marqué la société civile italienne. Si Fausto Coppi est mort en 1960 après avoir contracté la malaria en Haute-Volta, Gino Bartali, lui, s’est éteint en 2000 mais a refait parler de lui ces dernières années après la révélation de son rôle actif dans la Résistance italienne contre le nazisme et le fascisme. Profitant de sa célébrité et de ses entraînements, "Gino le Pieux" a ainsi clandestinement transporté sur son vélo de nombreux faux-papiers pour venir en aide des Juifs. Reconnu par Israël comme "Juste parmi les nations", le champion fait aujourd’hui l’objet d’un livre, Un vélo contre la barbarie, l’incroyable destin de Gino Bartali, écrit par le journaliste italien Alberto Toscano.
Invité de Sud Radio ce samedi, celui-ci revient sur le parcours du héros. "Gino Bartali avait un rôle très précis : exploiter son indiscutable popularité pour aider la cause de ces Juifs réfugiés dans des couvents qui avaient besoin de faux papiers pour retrouver leur liberté ou tout simplement pour avoir la vie sauve en cas de rafle des Nazis, qui occupaient l’Italie en 1943-1944. Bartali transportait ces faux papiers et le faisaient sans doute au nom de sa foi catholique mais aussi de ses fermes convictions humaines, humanitaires et solidaires", rappelle Alberto Toscano qui partage depuis 30 ans son temps entre l’Italie et la France. "Je vis sur une bicyclette imaginaire, avec une roue italienne et une roue française. Ce vélo, cette vie à cheval des deux côtés des Alpes, me passionne depuis 32 ans. Le 3 mai dernier, le Giro s’est élancé d’Israël et les trois premières étapes ont eu lieu là-bas en hommage à Gino Bartali. L’État d’Israël a décerné à Gino Bartali la citoyenneté d’honneur. Il est mort en 2000, mais c’est récemment que Yad Vashem a gravé son nom sur le mémorial des Justes à Jérusalem. Ce départ du Giro à Jérusalem m’a poussé l’an dernier à écrire ce livre pour parler aux Français et aux Italiens de son histoire héroïque pendant la Résistance", ajoute-t-il.
"Il y a une inquiétude vis-à-vis de l’autre, l’étranger, celui qui est différent"
Si la Seconde Guerre mondiale est loin derrière nous aujourd’hui, l’Italie vit depuis plusieurs mois une poussée nationaliste en son sein, concrétisée par l’arrivée au pouvoir de Giuseppe Conte et des populistes de la Ligue et du M5S. "Entre mon livre et la réalité italienne actuelle, il y a deux univers différents. L’Italie d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de la guerre et de la dictature fasciste ! Il y a quand même une inquiétude vis-à-vis de l’autre, de l’étranger, de celui qui est différent de nous. C’est un problème européen, qu’on voit en Italie, en France, en Allemagne…", analyse Alberto Toscano. Le journaliste estime par ailleurs que la réalité du pouvoir pourrait rattraper rapidement le gouvernement italien. "Les Italiens gardent les yeux ouverts, et chacun de nos peuples doit garder les yeux ouverts sur ce qu’il se passe à l’intérieur de son pays. Ces politiques, qui ont gagné des élections grâce à des discours populistes et démagogiques, sont confrontés à la réalité du pouvoir, qui exige du pragmatisme. S’ils respectent leur programme économique, l’Italie sera dans une situation très difficile vis-à-vis de l’Europe", assure-t-il.
Quant à l’éventualité d’un "Italixit", Alberto Toscano n’y croit "absolument pas". "L’Italie a besoin de l’Europe, les Italiens restent malgré tout pro-européens, malgré le vote du 4 mars qui a eu sans aucun doute une teneur eurosceptique. L’Italie ne peut pas se passer de l’Europe", martèle-t-il tout en reconnaissant que les prochaines élections européennes pourraient rebattre les cartes. "Ceux qui critiquent l’Europe auront sans doute de bons résultats l’an prochain. C’est aussi la conséquences des erreurs que certains gouvernements ont fait. Mais je pense que le chemin de l’Europe est irréversible", insiste-t-il.
"La démagogie est présente dans chacun de nos pays"
Enfin Alberto Toscano est revenu sur les liens qui unissent certaines personnalités politiques italiennes et françaises, à l’heure où Laurent Wauquiez notamment a pris exemple sur l’Italie pour son tract controversé Pour que la France reste la France. "Matteo Salvini a choisi Marine Le Pen comme son modèle. Laurent Wauquiez choisit Salvini comme son modèle. Je vous laisse faire la conclusion de ce discours ! Aujourd’hui, la démagogie est présente dans chacun de nos pays. Une campagne électorale est une chose, la réalité en est une autre. En campagne, on dit tout et son contraire ! Dans la réalité, il y a heureusement des conditions qui exigent de s’adapter à la situation. L’Italie est endettée à hauteur de 2300 milliards d’euros, le gouvernement ne peut donc pas faire n’importe quoi", conclut-il.