Le monde évolue. Il n’est pas figé. La guerre en Ukraine en est un récent et dramatique exemple. Une crise qui en dit long sur l’évolution des blocs mondiaux, des rapports de force, et de l’émergence de nouvelles puissances. Parcourir le monde pour mieux le comprendre. En retirer une expérience à partager. Voici ce qu’a été la vie de Gérard Chaliand. Enseignant à Harvard, Berkeley UCLA, à l’ENA et à l’École de guerre, le géostratège a su déserter les bancs des grandes écoles pour se frotter au monde tel qu’il est.
Ukraine : pour Gérard Chaliand, "Poutine va perdre"
Il s’est rendu à plusieurs reprises en Asie, en Afrique et en Amérique latine, où il est devenu un observateur-participant des guérillas qui ont secoué ces continents. Après La pointe du couteau en 2011, il publie aujourd’hui Le savoir de la peau, aux éditions de l’Archipel. Le récit poignant et passionnant de longues enquêtes de terrain à travers l’histoire du monde de ces quarante dernières années.
S’agissant de la guerre en Ukraine, Gérard Chaliand y voit un acte 3 de la guerre froide. "La guerre froide continue", explique-t-il sur Sud Radio. "Monsieur Poutine fait une contre-offensive en essayant de contraindre les Européens et les Américains à négocier sur le statut de l’Ukraine. À mon sens, Monsieur Poutine va la perdre, mais il y aura un prix. Nous ne pouvons pas le pousser à l’extrême. Nous allons devoir faire des concessions. Mais en fin de compte il aura perdu", ajoute-t-il au micro d’André Bercoff. Le géostratège ne croit pas à l’entrée de l’Ukraine dans le giron européen, ou celui de l’OTAN. "L’Ukraine va rester neutre".
Le déclin de l’Occident
En dépit d’une certaine position de faiblesse, l’Occident reste encore le maître des cartes sur le jeu mondial. "Les États-Unis sont encore la puissance principale, que la Chine aimerait bien égaler ou dépasser. Les Russes les confrontent mais ils n’ont pas les moyens économiques de les contraindre. Les États-Unis savent qu’ils sont encore numéro un même s’ils sont sur le déclin. Il y a encore un certain dynamisme que nous ne connaissons pas, une détermination que nous n’avons pas eue", explique le géostratège.
Un déclin qui touche également le Vieux Continent pour Gérard Chaliand. "Ce n’est pas une opinion idéologique. C’est un constat. Pour l’instant, je ne vois pas de capacité de rebond sérieux. Ce serait souhaitable. Il y a eu un frisson lors du début de la guerre en Ukraine. Les Allemands ont annoncé des envois d’armes. En parallèle, tout augmente. Aura-t-on toujours envie de se mobiliser ?", s’interroge-t-il.
De l’importance de la croissance économique
Durant ses tours du monde, Gérard Chaliand aura vécu des moments très forts. Il s’en rappelle au micro de Sud Radio. "Je me suis rendu au Vietnam en 1967. J’étais un des rares observateurs qui s’est installé pour essayer d’écrire un livre. J’ai vécu deux mois dans des villages vietnamiens afin de voir comment ils étaient organisés pour résister aux bombardements américains. C’était un moment fantastique. Quel que soit le prix à payer, ces gens voulaient tenir bon. J’étais en admiration devant un peuple debout, décidé à aller jusqu’au bout", relate-t-il.
Prenant l’exemple de l’Asie, le géostratège explique que pour certains peuples, "la seule réponse à l’humiliation de l’Occident, et notamment des États-Unis, c’est la croissance économique. C’est ce que les Chinois, Taïwan et les Coréens font". "Le fait d’avoir été malmené par l’Histoire ne donne pas la capacité à vaincre. L’Histoire n’a pas de morale. Si on veut que ça change, il faut travailler. Avoir le sens de l’État. Le sens du rapport de force. Le sens du moment favorable", conclut Gérard Chaliand.
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