Le Premier ministre s'apprête à annoncer un ensemble de mesures en plus du moratoire sur la hausse des taxes sur les carburants qu'il a confirmé mardi, un geste réclamé de toutes parts pour tenter de sortir de la crise des "gilets jaunes" mais déjà qualifié d'insuffisant.
"On doit apaiser la situation pour éviter qu'elle dégénère", a déclaré Édouard Philippe mardi matin devant le groupe LREM et MoDem à l'Assemblée nationale, ont rapporté à l'AFP des participants à la réunion.
"Il faut donner aux Français une raison de revenir à la raison", a-t-il justifié, tout en estimant que "le moratoire ne remettra pas en cause l'ambition de la transition écologique". "Une taxe, ce n'est pas une réforme, mais un moyen de la réforme", a-t-il plaidé.
"Ce que nous vivons aujourd'hui, (...) c'est un moment important et primordial au cours d'un quinquennat", a aussi estimé le chef du gouvernement.
Matignon a précisé dans le même temps qu'il ferait une déclaration télévisée à la mi-journée. La suspension pendant plusieurs mois de la hausse des taxes sur les carburants au 1er janvier, actée lundi soir à l'Élysée lors d'une réunion de crise avec plusieurs ministres présidée par Emmanuel Macron, devrait être assortie d'autres mesures.
Des syndicats comme la CFDT ou FO, mais aussi des députés LREM, poussent notamment pour une prime transport, sous des formes diverses. La fronde des "gilets jaunes" a également relancé le débat autour d'une possible négociation sur les salaires, un coup de pouce au Smic ou une mise à contribution du patronat.
Selon un ministre, les employeurs doivent "assumer leur part". Le Medef, lui, plaide en particulier pour de nouvelles indemnités kilométriques et une hausse du Smic conditionnée à une baisse des cotisations.
Après son intervention télévisée, Édouard Philippe doit s'exprimer lors de la séance de questions au gouvernement, avant un débat mercredi après-midi à l'Assemblée, suivi d'un vote des députés qui n'engagera pas la responsabilité du gouvernement, et jeudi au Sénat.
Matignon a annulé sans surprise la réunion avec des "gilets jaunes" prévue mardi après-midi.
"La baguette au complet"
Mais en attendant l'annonce des autres mesures, l'opposition et des représentants des "gilets jaunes" ont jugé ce moratoire insuffisant et trop tardif.
Benjamin Cauchy, une des figures du mouvement, a salué une "première étape". Mais "les Français ne veulent pas des miettes, ils veulent la baguette au complet", a-t-il déclaré à l'AFP en réclamant des "états généraux de la fiscalité" et l'instauration de "référendums réguliers sur les grands enjeux sociétaux".
Le moratoire est "une cacahuète", a estimé pour sa part Christophe Chalençon, figure du mouvement dans le Vaucluse.
"Les Français demandent une annulation", a jugé le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau. "Si ça se limite à cela, (c'est) trop tard, trop peu", a déclaré la présidente du RN Marine Le Pen à l'AFP.
"Mieux vaut tard que jamais" mais il faut aussi un coup de pouce au Smic, a réagi Ségolène Royal, ancienne ministre socialiste de l'Écologie.
Face à l'urgence de la situation, Emmanuel Macron a reporté sa visite officielle en Serbie prévue mercredi, et le Premier ministre avait reçu lundi les chefs des formations politiques représentées au Parlement. À l'exception d'Europe Écologie-Les Verts et de Génération Écologie, toute l'opposition avait plaidé pour un "moratoire" dans la hausse prévue le 1er janvier des taxes sur le carburant, mot d'ordre initial du mouvement des "gilets jaunes" dont la dernière manifestation samedi a donné lieu à de nombreuses scènes de guérilla urbaine.
Impact "sévère"
Parmi les membres historiques les plus connus des "gilets jaunes", Éric Drouet a appelé à l'intensification du mouvement de contestation lors de nouvelles manifestations samedi prochain.
La gestion de l'ordre public est également au centre du débat politique. Déjà entendus lundi soir à l'Assemblée, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner et son secrétaire d'État Laurent Nuñez s'en expliqueront mardi après-midi devant le Sénat.
Sur le terrain, les dépôts pétroliers de Brest et Lorient restent paralysés mardi matin, provoquant des ruptures de carburants dans certaines stations-services du Finistère et du Morbihan.
Dans le sillage de la contestation des "gilets jaunes", plusieurs dizaines de lycées sont également toujours perturbés mardi, dans la poursuite d'un mouvement débuté la veille dans 188 établissements.
Des incidents ont à nouveau éclaté devant des lycées de la région parisienne, et Marseille reste particulièrement touchée: sur 21 établissements perturbés, dix étaient en blocage total, selon le ministère de l'Éducation.
Cinq personnes ont été interpellées mardi, en lien avec le saccage il y a deux semaines d'un péage sur l'A10 à Virsac (Gironde).
Enfin, selon Bercy, les deux premières semaines d'actions des "gilets jaunes" ont déjà un impact "sévère et continu" sur l'économie.
Sur le plan judiciaire, au moins 57 personnes ont comparu lundi à Paris. Ils font partie des 139 suspects majeurs qui ont déjà été déférés au parquet de Paris, après les violences et les dégradations de samedi. Au total, ce week-end, les violences ont donné lieu au chiffre record de 363 gardes à vue, dont 32 pour des mineurs, selon un nouveau bilan du parquet de Paris.