Alors que les négociations entre le gouvernement et les syndicats reprennent ce matin autour de la réforme des retraites, vous voulez nous alerter, Laurent, sur un mensonge du pouvoir. Un mensonge, ce n’est pas exagéré comme terme ?
Non, il n’y a aucune exagération dans mon propos. Car vous avez entendu comme moi ce que répètent en chœur Emmanuel Macron et tous les ministres. Leur projet, jurent-ils, - croix de bois, croix de fer- c’est de défendre le vieux système solidaire de retraite par répartition, au terme duquel les actifs financent les retraites de leurs aînés, et surtout pas de basculer vers le système beaucoup plus inégalitaire de retraite par capitalisation, où chacun épargne pour sa propre retraite. Les riches beaucoup, les pauvres, très peu ou pas du tout.
Eh bien, cette promesse est un mensonge. Je pèse mes mots : un mensonge ! La vérité, c’est que la réforme Macron va nous conduire tout droit vers ce système par capitalisation. C’est cela qui est le plus important – beaucoup plus que le compromis obscur dont rêve le gouvernement et qui ne change rien à la dangerosité de sa réforme.
Ah oui ! Et de quelles preuves disposez-vous pour porter cette accusation ?
Il y a un faisceau d’indices, qui ne laisse aucun doute sur le but poursuivi. Primo, la retraite par points conduit à un système individualisé, par définition beaucoup moins solidaire que le système actuel. Deuzio, peut-être avez-vous observé –c’est technique, mais c’est décisif- que la retraite par points est supposée créer un système universel, qui s’imposera à tous les salariés. Enfin… pas tout à fait à tous. Pour faire simple, les salariés qui gagnent plus de 10.000 euros nets par mois cotiseront jusqu’à ce seuil, mais au-delà, ils seront dispensés de cotisations et pourront s’assurer pour eux-mêmes. En clair, le nouveau système sera bel et bien universel… sauf pour les riches, qui pourront recourir – nous y voilà- à la capitalisation. Et clair, le tabou de la capitalisation sera brisé.
Mais est-ce que ces indices suffisent pour faire ce procès au chef de l’Etat ?
Vous voulez un autre indice ? Eh bien Patrick, je peux vous en livrer un troisième. Dans le cadre de la loi Pacte, adoptée l’an passé, le gouvernement a pris une mesure majeure, passée inaperçue, visant à réformer ce que l’on appelle la retraite supplémentaire, c’est-à-dire, le troisième étage au dessus du régime de base, et au-dessus des régimes complémentaires Agirc et Arcco. Et cette réforme a pour effet d’ouvrir le marché français de l’épargne-retraite aux géants américains de la gestion d’actifs, style Blackrock, et autres fonds de pensions anglo-saxons. Alors quand j’entends Bruno Le Maire nier cette interprétation et prétendre que c’est du complotisme, cela me fait bondir. Et cela me fait penser au bon mot d’un journaliste célèbre de l’entre-deux-guerres, Henri Jeanson : « Le mensonge, est, comme le tabac et les allumettes, monopole d'État. »