Avez-vous vu à quoi ressemblait cette rentrée ? L’Élysée qui communique davantage sur sa communication que sur sa politique, un Premier ministre qui se prend les pieds dans le tapis de ses annonces qu’il n’a pas encore arbitrées, les emplois aidés dont on annonce prématurément la fin avant de se rendre compte que ça met dans une situation très délicate l’Éducation nationale et les collectivités territoriale, le ministre des Finances qui annonce des privatisations et qui est démenti 48 heures après par le Premier ministre, Les Républicains qui se cherchent un chef sans savoir de quoi il sera le chef, les socialistes qui veulent faire rendre l’argent de sa campagne à Benoît Hamon qui a surtout commis la faute de faire 6,5% et de quitter le Parti socialiste, des députés LREM qui se disputent déjà en public… Eh oui, comment faire du vieux avec du neuf ?
Après une année politique complètement folle qui a tout mis sens dessus dessous, fait exploser les partis, remplacé les visages connus par des nouveaux, pour la plupart inconnus des Français (à commencer par le président de la République lui-même), tout monde – les uns avec un peu d’inquiétude, les autres avec un peu d’espoir – s’attendait à quelque chose d’autre, à quelque chose de neuf. Après trois mois, l’évidence saute aux yeux que le neuf ne fabrique que du vieux. Vieux démons, vieux comportements, vieux discours, vieille politique dans la majorité comme dans l’opposition. La politique autrement, ce sera pour plus tard.
Il y a des réformes, mais les réformes sont devenues des réflexes conditionnés, des formules magiques d’une politique qui s’est défaussée sur les juges, l’Europe, les autorités indépendantes, et qui consacre plus de temps à chercher dans la dette, les marchés, la concurrence et la mondialisation des alibis à ses renoncements qu’à se donner les moyens de gouverner. Elles sont suspendues au-dessus du vide de la réflexion et de la pensée. Elles procèdent d’un refus d’un vrai travail intellectuel sur le monde et la société tels qu’ils sont. Évidemment, ça ne marche pas. Même l’école s’exonère, malgré des réformes de bon sens, d’une réflexion sur le projet éducatif alors que le 21ème siècle exige que nous changions complètement la façon de former nos enfants.
Ce qui ne change pas, c’est le fond de la vieille politique politicienne dont tous les nouveaux responsables politiques semblent avoir retrouvé instantanément les réflexes, avec peut-être un peu plus de maladresse que les vieux chevaux de retour de la politique, que les Français ne voulaient plus voir parce qu’ils tiraient des ficelles un peu trop voyantes et finissaient par donner le sentiment de se moquer du monde… On dit que les politiciens contournent toujours l’obstacle. Il y a des moments où ce n’est pas très grave, et puis il y en a d’autres, comme aujourd’hui, où c’est très lourd de conséquences.
Laissons les sondages de côté, même s’ils laissent transpirer un doute grandissant sur la suite. Le mal est plus profond et plus inquiétant. Le rendez-vous manqué de la campagne présidentielle n’y est pas pour rien, la qualité des hommes non plus. Mais alors que les désordres du monde, de l’Europe et de la société n’ont jamais été aussi grands ni aussi dangereux depuis 1945, la superficialité de la politique est insoutenable dès lors qu’elle doit faire face aux bombardements de la finance, de la démographie, des inégalités, des crispations identitaires, et aux insécurités économiques, sociales, culturelles qui ruinent les fondements de notre civilisation et mettent tout l’Occident dans une situation de très grande vulnérabilité en le plongeant dans une véritable crise intellectuelle et morale sans précédent depuis les années 1930 malgré tous les succès de la science et de la technique.
La politique, qui est l’expression de la volonté humaine dans l’histoire, a besoin de profondeur pour répondre à la seule vraie question de notre temps, qui n’est ni de droite ni de gauche : "Dans quelle civilisation voulons-nous vivre, en nous donnant les moyens d’y parvenir dans le monde tel qu’il est ?". Si la démocratie n’y répond pas, ce sera comme toujours dans l’Histoire la tragédie qui y répondra. Au milieu des jeux de rôle, des figures imposées, des formules creuses et des slogans, où est la lueur d’espérance qui ne peut aller qu’avec la conscience que le but ultime de la politique est de rendre plus habitable, comme Alain Finkielkraut le dit, le monde dans lequel nous vivons, de prendre en charge la tragédie de l’Histoire, et non de s’épuiser dans les recettes de la communication qui veulent faire prendre des vessies pour des lanternes ?
Réécoutez l'édito de Henri Guaino dans le Grand Matin Sud Radio