Philippe Juvin : "L’idée de tabler sur la confiance est une très bonne chose"
Alors que les Français s’attendaient à un nouveau confinement généralisé, le gouvernement a opté pour un appel à la responsabilité et des mesures a minima, comme la restriction des voyages internationaux et la fermeture des centres commerciaux de plus de 20.000 mètres carrés. "Ce type d’épidémie, on arrive à la vaincre évidemment avec des moyens techniques, médicaux, vaccins etc. mais aussi avec la confiance", estime Philippe Juvin, chef du Service des Urgences de l’Hôpital Pompidou et maire LR de La Garenne-Colombes, qui juge qu’Emmanuel Macron "a raison". "L’idée de tabler sur la confiance est une très bonne chose."
La décision d’Emmanuel Macron semble également être une reprise en main de la stratégie gouvernementale. "Je crois qu’on se trompe de débat : le Conseil scientifique est là pour éclairer le gouvernement, d’un point de vue médical", explique le chef du service des urgences de l’hôpital Pompidou. Les politiques, eux, prennent les décisions. "La science n’est pas l’omniscience."
"Quand on se rapproche du moment où il faut confiner, un jour n'égale pas un jour, le retard est difficile à rattraper"
De fait, le gouvernement temporise sur la question du reconfinement qui semblait pourtant inéluctable. En tant que médecin, Philippe Juvin estime que "plus on confinera tôt, plus le confinement sera efficace et moins difficile" et rappelle que, selon des calculs, en mars 2020 confiner une semaine plus tôt aurait permis de sauver 13.000 vies. "Mais le chiffre important n’est pas celui-ci, souligne-t-il. Si en revanche on avait confiné une semaine plus tard, on aurait eu 53.000 morts de plus. Ce qui signifie que quand on se rapproche du moment où il faut confiner, un jour n'égale pas un jour, le retard est difficile à rattraper. Ça c'est le point de vue du médecin".
Néanmoins, étant lui-même un politique en tant que maire de La Garenne-Colombes, il comprend la décision du gouvernement. "Soit il a des chiffres qu’on n’a pas, ce qui est tout à fait possible et ne serait pas illégitime, soit il considère qu’il y a une question fondamentale qui est légitime et très importante : c’est celle de l’acceptabilité sociale" d’un nouveau confinement.
La situation dans les hôpitaux inquiète, toutefois, alors que le nombre de patients Covid augmente. "Le système de santé, c’est une bouteille d’un litre. Et quand vous voulez mettre deux trois litres dedans parce que vous avez beaucoup de patients qui arrivent, eh bien, il déborde." Pour lui, le confinement sert "à éviter qu’il y ait trois ou quatre litres qui arrivent".
Parmi les inquiétudes majeures concernant l’évolution de la pandémie, le variant britannique qui se développerait plus rapidement que le variant normal du virus Sars-CoV-2. "Le variant britannique a une capacité d’être transmis beaucoup plus rapidement, 40 à 70 fois plus que le variant précédent", confirme Philippe Juvin. "C’est pour ça que l’épidémie court beaucoup plus vite quand le variant britannique est majoritaire." Et il y aurait un doute sur une possible plus grande dangerosité du variant britannique également, qui reste à confirmer, les études étant contestées.
"On peut peut-être réfléchir à des confinements qui seraient différents d’une région à une autre"
En cas de reconfinement, certains estiment qu’il devrait être limité aux plus fragiles et aux plus âgés, une hypothèse qui ne convainc pas le maire LR de La Garenne-Colombes. "Je crois que les plus âgés, il faut les vacciner, c’est ça la priorité." Il rappelle en outre que lors du confinement du mois de mars 2020, "on a fermé les Ehpad" et "on a quand même eu une hécatombe dans les Ehpad".
Cette idée de ne reconfiner qu’une partie de la population revient également à "sous-estimer la maladie chez les jeunes", estime le médecin. "Il y a quelque chose qu’on ne regarde pas assez chez les jeunes, c’est ce qu’on appelle les Covid longs" et qui ont des symptômes de la maladie plusieurs mois après leur hospitalisation. "Ces gens sont en nombre très important."
"On peut peut-être réfléchir à des confinements qui seraient différents d’une région à une autre, selon que le virus circule beaucoup ou pas, des confinements qui prendraient en compte une politique vaccinale extrêmement agressive". "La bonne stratégie de confinement, pour qu’elle soit acceptable socialement, il faut qu’elle soit une stratégie de sortie, d’éradication de l’épidémie", explique Philippe Juvin. La stratégie impliquera de faire des choix, "et s’il faut faire des choix, ils seront tous imparfaits", souligne Philippe Juvin. De fait, il juge qu’il faut continuer de vacciner les plus fragiles, "et puis il faut vacciner tous les soignants, y compris les moins de 50 ans".
Hôpitaux : "En mars 2020, il y a eu des tris qui se sont faits, et probablement l’âge a été un facteur de tri"
Concernant le tri dans les hôpitaux, Philippe Juvin explique qu’il existe toujours, y compris en temps normal. Concernant la période de crise, notamment au mois de mars 2020, "il y a eu des tris qui se sont faits, quoi qu’on en dise, et probablement l’âge a été un facteur de tri". "Il faut se mettre dans une condition telle que le tri se fasse sur des arguments scientifiques."
Concernant les traitements, Philippe Juvin confirme qu’aucune piste n’est réellement efficace à ce stade. Seulement deux types de traitements "qu’on donne aux patients" ont prouvé une certaine efficacité contre la Covid-19 : les corticoïdes, qui permettent de "ralentir l’évolution des formes graves", et des anticoagulants car la maladie est vasculaire et "provoque des tromboses. La question que l'on se pose aujourd'hui est à quel moment il faut donner ces anticoagulants de façon préventive. C'est une voix très prometteuse mais on ne tue pas le virus, on ne fait que limiter les effets de celui-ci."
"On a l'impression que toute voix dissonante, c'est le diable !"
Philippe Juvin a proposé dans une tribune publiée dans le JDD que la France achète la licence des laboratoires Pfizer ou Moderna et produise des vaccins sur son sol. "Je n'ignore rien de la complexité des choses, explique le médecin, mais il faut qu'on ait massivement des vaccins et aujourd'hui on n'en a pas. On peut n'être pas d'accord mais ce ne sont pas des mensonges, affirme-t-il, répondant ainsi au tweet d'Agnès Pannier-runacher "Laisser croire, comme le font Philippe Juvin et Alexandre Jardin dans leur tribune au JDD, que la propriété intellectuelle serait le point bloquant de la production de #vaccins est un mensonge".
Pour Philippe Juvin, "il y a une sorte de tendance à disqualifier toute opposition qui est extrêmement fatigante ! Je suis un homme qui propose des solutions, on est dans une situation où on a l'impression que c'est tout ou rien. Il ne faut pas diaboliser toute proposition : c'est un vrai sujet, insiste-t-il, on a l'impression que toute voix dissonante, c'est le diable ! En démocratie, écouter n'est pas une faiblesse..."
"Moi aussi je me demande si les ministres ne sont pas trop sur les plateaux TV"
Certains reprochent aux médecins d'être trop présents sur les plateaux TV, créant ainsi de la confusion. "Je pourrai répondre que moi parfois je me demande si les ministres n'y sont pas trop ! répond Philippe Juvin. Quand je vois que Monsieur Blanquer nous dit qu'on va vacciner 15 millions de personnes à l'été, que Monsieur Dussopt nous dit que ce sera 25, Monsieur Djebbari, grand spécialiste des questions sanitaires, ministre des Transports, 26 millions, Monsieur Véran 70 millions, il faut aussi un peu d'ordre dans la communication gouvernementale !"
Pour lui, "en démocratie, c'est intéressant qu'il y ait des disputes intellectuelles et qu'on présente des arguments. Les Français sont beaucoup plus raisonnables et responsables qu'on ne le croit : pour avoir confiance, il faut avoir les données. Nous les médecins, nous sommes aussi payés pour dire ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas !"
Cliquez ici pour écouter "L’invité politique" avec Patrick Roger
Toutes les fréquences de Sud Radio sont ici !