Allier, Charente, Creuse, Cantal: pas une semaine ne s'écoule sans que des projets de fermetures de classes ne mettent les campagnes en ébullition. En cause, la baisse encore plus forte du nombre d'élèves attendu à la rentrée, qui laisse craindre l'apparition de déserts scolaires.
Raphaèle Delalande, représentante des parents d'élèves dans l'Yonne, fait partie du comité de mobilisation opposé à la fermeture d'une des cinq classes de Maligny, 780 habitants.
"On a bloqué l'école tous les matins pendant quinze jours, on a fait une opération escargot, on a rencontré à deux reprises l'inspecteur", explique-t-elle à l'AFP.
Avec 19 élèves par classe, le ratio est "idéal" selon elle, mais la fermeture annoncée pourrait gonfler les effectifs de maternelle à 29, un comble en milieu rural.
A Lussat (Creuse), c'est l'ensemble du conseil municipal qui a démissionné mi-février pour protester contre la fermeture de la classe unique du village. "La commune va finir comme un grand Ehpad", confiait le maire à Ici Creuse.
Dans l'Indre, une classe a été symboliquement mise en vente sur Le Bon Coin, tandis que des moutons ont momentanément remplacé les élèves dans la cour de l'école d'Ambrault.
Malgré l'annulation en janvier de la suppression de 4.000 postes d'enseignants, la FSU-Snuipp, premier syndicat du primaire, dénombre 4.950 fermetures de classes pour 2.336 ouvertures à la rentrée, soit un solde négatif de 2.614 supérieur à celui des cinq dernières années.
En milieu rural, ces annonces couperet ont un parfum de mort lente pour les villages.
"Le curseur baisse de plus en plus. Là où, il y a 10 ans, on maintenait la classe sans problème, on la ferme aujourd'hui à effectif équivalent", observe Grégoire Ensel, vice-président de la FCPE, première fédération de parents d'élèves, pour qui la baisse démographique devrait au contraire "permettre d'améliorer la qualité de l'enseignement".
Interrogé par l'AFP, le ministère de l'Education nationale souligne qu'"entre 2015 et 2024, le nombre d'élèves a diminué de 12,2 % dans les zones rurales, hors éducation prioritaire (REP), tandis que le nombre de classes a diminué de 5,8 %, soit deux fois moins rapidement".
- Discrimination positive -
Signe de cette "attention particulière portée au milieu rural", poursuit-il, le nombre moyen d'élèves par classe dans les écoles rurales éloignées est de 19,8, contre 22,3 dans l'urbain intermédiaire et 23,3 en urbain dense, hors REP.

Moins d'enfants par classe à la campagne
Valentina BRESCHI, Jean-Philippe CHOGNOT - AFP
Une réalité confirmée par le géographe Arnaud Brennetot, professeur à l'Université de Rouen Normandie.
"L'encadrement est bien meilleur dans les espaces ruraux de faible densité, et il y a bien une politique d'équité territoriale en faveur des espaces qui déclinent et vieillissent", analyse-t-il.
"Si la France est bien un immense désert médical, l'enjeu sur l'éducation est de ne pas arriver à ces mêmes erreurs dans dix ans", prévient-il toutefois.
Mais sur le terrain, les maires jugent que les spécificités de l'école rurale sont trop souvent oubliées, alors qu'elle représente un outil d'attractivité, et que la qualité de l'enseignement en pâtit.
"La directrice académique manipule des tableaux Excel mais elle oublie que faire une heure de car le matin et une heure le soir à six ans, ce n'est pas une vie", pointe Jean-François Farenc, maire de Blanot (Saône-et-Loire).
"Le pire, c'est l'accumulation de fermetures année après année. On nous dit qu'on a des petits effectifs mais on se retrouve avec cinq niveaux par classe, il faut être un superman de l'enseignement pour gérer ça et accueillir des enfants porteurs de handicap", soupire Christian Montin, maire de Marcolès (Cantal).
Les élus dénoncent aussi une absence de concertation, malgré la création récente d'"observatoires des dynamiques rurales" censés anticiper les évolutions démographiques mais considérés comme des coquilles vides par les maires.
Or la baisse démographique devrait encore s'amplifier, les services statistiques du ministère anticipant une baisse de 116.800 élèves en 2026 dans le premier degré, contre 79.400 en 2024.
"Le ministère est toujours dans un modèle de gestion comptable des effectifs", souligne Frédéric Leturque, de l'Association des maires de France, qui plaide pour "sortir de ce modèle" en signant un protocole national avec l'Etat, assorti d'une stratégie qui permettrait d'anticiper les baisses d'effectifs sur une durée de trois ans.
Par Hélène DUVIGNEAU, Sophie LAUBIE / Paris (AFP) / © 2025 AFP