Au plafond, des trapèzes suspendus, au sol, de vieilles chaussures de clown, sur un mur, un "Arlequin" de Picasso... L'exposition "En Piste !" au Mucem à Marseille fait dialoguer œuvres d'art et "pauvres objets" de saltimbanques dans un "spectacle immobile" poétique et enchanteur.
Ce "récit plastique", mis en scène par Macha Makeïeff, compose sur 1.200 m2 une exposition-spectacle tout en couleurs, sons et lumières, où "le public crée le mouvement par sa propre déambulation et son regard", explique l'auteure, metteuse en scène et plasticienne, invitée du Musée des civilisations d'Europe et de la Méditerranée (Mucem).
"C'est un spectacle immobile, qui a sa propre géométrie et un rythme apporté par les couleurs", poursuit celle qui fut pendant plus de dix ans directrice de La Criée - Théâtre national de Marseille.
Sur l'immense scène imaginaire où le public est invité à pénétrer via un "vestibule du bonimenteur", se succèdent petits théâtres, baraques foraines, roulottes et un nickelodeon, une sorte de cinéma de poche. Ici, le son du rugissement d'un fauve ou du braiement d'un âne, là, des applaudissements.
De Gustave Doré à Fernand Léger ou Gérard Garouste, les tableaux, souvent de très grands formats, voisinent avec des objets usagés liés à la scène: chaînes de manège, praticables, morceaux de décors...
Des chefs-d’œuvre, comme la "Nana noire" de Niki de Saint Phalle ou "Le clown blessé" de Georges Rouault, des photographies inédites d'Agnès Varda répondent à de vieilles perruques, des instruments de musique et des malles défraîchies.
Plus de 600 œuvres et objets du quotidien des saltimbanques sont exposés depuis mercredi et jusqu'au 12 mai 2025, prêtés par de grands musées, des artistes comme Bartabas et des collectionneurs privés, ou provenant des fonds du Mucem. Plusieurs artistes contemporains ont réalisé des œuvres spécialement pour l'exposition.
"Il s'agissait de créer un dialogue entre des artistes puissants, qui s'interrogent sur le destin des saltimbanques, et les pauvres choses, les pauvres accessoires qui nous restent sur les bras une fois que le spectacle est fini", explique Macha Makeïeff qui se dit "hantée" par cette question de l'"après": "quand le spectacle est fini et que le clown a fait son sac, que deviennent ces objets usés, ces compagnons des saltimbanques ?"
"C'est une célébration de ces objets qui ont une force poétique et disent l'humanité d'une façon étonnante", souligne-t-elle.
- "Histoire de vie" -
Comme pour un défilé de haute couture, les costumes de clowns de la maison Vicaire, habits de lumière richement brodés de perles, tubes et paillettes, paradent sur un podium.
Des Ballets russes, on retient la fragilité d'une robe de soie peinte à la main ou d'une autre fabriquée en papier.
"L'exposition cherche modestement à retrouver quelque chose qui évoque le spectacle total, où les musiciens, les plasticiens, les peintres, les poètes, les costumiers, tout ça, c'était une seule et même chose. Les peintres faisaient des décors, faisaient des costumes...", rappelle la metteuse en scène.
Les hommages sont nombreux, à Alfred Jarry et son roi Ubu comme à l'illusionniste Yanco, mais aussi aux clowns oubliés ou aux monstres de cirque, ces "freaks sublimes".
L'haltère de l'homme qu'on imagine le plus fort du monde, la culotte en peau d'ocelot d'un dresseur célèbre, un gant sifflet côtoient des tigres, autruches et zèbres naturalisés, dans un éloge aux "bêtes artistes".
"L'exposition ne présente aucun objet décoratif", insiste le conservateur en chef du Mucem, Vincent Giovannoni, co-commissaire de l'exposition qui a ouvert à Macha Makeïeff l'exceptionnelle collection Arts du spectacle du Mucem, riche de 35.000 pièces.
"Tous les objets sont chargés -de la même manière qu'une amulette est chargée de prières- d'une histoire de vie", insiste-t-il. "C'est pour ça que cette exposition est riche de pièces, riche de couleurs, riche en expériences et en émotions, pour que le visiteur en y venant se sente bouleversé".
Par Anne LE COZ / Marseille (AFP) / © 2024 AFP