"70% des Français sont d'accord avec moi", dit l'un, "je fais partie des 30%" restant, répond l'autre: le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau s'est retrouvé en difficulté vendredi, questionné avec mordant par un pharmacien sur l'immigration, lors d'un déplacement à Valence.
Venu présenter les plans d’action de restauration de la sécurité du quotidien, déclinés dans chaque département par les préfets, M. Retailleau a déambulé un moment dans un quartier populaire de la ville, entouré d'un essaim de caméras.
Sur son parcours, le ministre s'arrête devant François Miquey, pharmacien, qui l'attend pour un échange programmé devant son officine intégrée dans une maison de santé.
Le quinquagénaire explique qu'avant, la pharmacie se trouvait un peu plus loin et qu'il y avait "des choses qui se passait devant qui n'étaient pas très agréables... Il y avait...
- ...du deal, complète le ministre.
- Avant on avait une criminalité de gens qui avaient mon âge, poursuit le pharmacien.
- Et maintenant ils sont tout jeunes... Et ils sont violents", enchaîne M. Retailleau.
Le ministre est concentré, le pharmacien plutôt bavard, l'échange est courtois, allant plutôt dans le sens de la communication ministérielle, d'autant que le pharmacien évoque "une présence policière qui rassure" ses clients.
Et puis le visage de M. Retailleau se crispe légèrement. "Mais, par contre", critique M. Miquey, qui raconte le cas d'un ami, père algérien, dont le fils s'est fait "arrêter trois fois pour contrôle d'identité" la semaine passée, "c'est bête quoi".
- "Une histoire de faciès" -
- "Le problème, c'est que quand on a une présence de police municipale, police nationale, il y a plus de contrôles, il y a plus de verrouillages, parce qu'il faut occuper l'espace, tente de justifier M. Retailleau.
- Je suis d'accord, mais après, il y a une histoire quand même de faciès, réplique le pharmacien.
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Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau (à droite), lors d'un échange avec un pharmacien (à gauche), à Valence, le 21 février 2025
JEFF PACHOUD - AFP/Archives
- Je ne crois pas", dit le ministre, dont l'entourage commence à être un peu gêné par la tournure de l'échange.
- "Moi, mon fils est Noir, et clairement, il se fait bien plus arrêter que ses copains de classe, signale le pharmacien.
- Mais vos clients disent que la tranquillité est revenue", tente M. Retailleau pour reprendre la main dans leur discussion.
En vain. Le pharmacien continue de plus belle.
- "Alors, alors, dernière chose, parce que j'ai préparé mon petit truc, rigole-t-il.
- C'est ce que je vois", répond le ministre, qui peine à cacher un léger agacement.
- "J'ai été blessé" -
- "J'ai revisionné la vidéo où vous disiez, l'immigration n'est pas une chance pour la France (...) Moi, je vous le dis, j'ai été blessé", relate le praticien, en expliquant que son grand-père portugais est arrivé en France à l'âge de 16 ans, qu'il avait des faux papiers parce qu'il ne pouvait pas travailler.
- "Mais le problème, c'est que votre grand-père, toute cette génération et vous, ils n'étaient pas chez eux, mais ils ont fait d'énormes efforts pour apprendre la langue, pour apprendre nos valeurs. Et aujourd'hui, il y a une immigration qui n'est plus contrôlée, qui est trop massive (...) Recevoir un demi-million d'immigrés par an, ça n'est plus possible, développe le ministre.
- Je pense sincèrement qu'il faut qu'on arrive ensemble, tous ensemble, à se rassembler. Et pas nous diviser. Et quand vous avez dit ça, pour moi, ça a divisé, estime M. Miquey.
- Non, ça n'a pas divisé, parce que 70% des Français sont d'accord avec moi.
- Je fais partie des 30%", rétorque le pharmacien, sans aucune animosité.
S'ensuit une discussion sur les chiffres de l'immigration et des personnes en situation irrégulière.
- "50.000 personnes sur 70 millions, relativise le pharmacien.
- Mais c'est tous les ans, insiste le ministre.
- On va s'en sortir.
- Non, non, non.
- Moi, je suis sûr.
- Il faut réduire, il faut réduire..."
L'entourage du ministre intervient alors pour faire signe, notamment aux médias, que l'échange est terminé. La déambulation doit reprendre.
- "Merci beaucoup, c'est très gentil, on est là et on est tous motivés", conclut le pharmacien au départ de M. Retailleau.
AFP / Valence (AFP) / © 2025 AFP