Une loi d'orientation agricole votée juste avant l'ouverture du Salon de l'agriculture: le gouvernement est en passe de tenir son engagement après un accord trouvé mardi soir entre les deux chambres du Parlement sur ce texte brandi comme réponse à la grogne du secteur, mais fustigé à gauche.
Peu avant minuit, une commission mixte paritaire (CMP) réunissant sept députés et sept sénateurs est parvenue à dégager un texte de compromis sur ce projet de loi présenté il y a près d'un an et maintes fois repoussé.
Un peu plus tôt mardi, c'est le Sénat qui avait adopté le texte à 218 voix contre 107, près de neuf mois après son adoption à l'Assemblée nationale juste avant la dissolution.
Le texte commun devrait désormais être soumis à un ultime vote des députés mercredi soir, puis des sénateurs jeudi après-midi, synonyme d'adoption définitive de ce texte qui a pour mesure phare d'ériger l'agriculture au rang "d'intérêt général majeur".
Son adoption ne fait guère de doute: mardi, la CMP l'a approuvé à dix voix contre quatre, les élus du Rassemblement national joignant leurs votes à ceux des membres de la coalition gouvernementale.
"Je ne voudrais pas commencer ce Salon de l'agriculture en disant aux agriculteurs que les parlementaires ne les ont pas entendus", avait déclaré la ministre de l'Agriculture Annie Genevard devant le Sénat dans l'après-midi.
Le projet "porte un certain nombre de sujets fermement attendus par les agriculteurs. Il ne répond pas à tous les besoins des agriculteurs, mais c'est un texte utile et nécessaire qui conserve l'essentiel des apports du Sénat", s'est félicitée auprès de l'AFP la présidente LR de la commission des Affaires économiques du Sénat, Dominique Estrosi-Sassone.
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La ministre de l'Agriculture Annie Genevard s'exprime lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, à Paris, le 12 février 2025
Bertrand GUAY - AFP/Archives
"C'est le projet de loi du Sénat, le projet de loi Duplomb", avec "des régressions majeures à laquelle même la ministre s'était opposée", a fustigé son homologue LFI de l'Assemblée nationale, Aurélie Trouvé, en référence au sénateur LR Laurent Duplomb, principal artisan d'un net durcissement du texte à la chambre haute. "En six mois il y a un très grave recul de la macronie", qui a voté des mesures qu'elle avait rejetées, a-t-elle aussi déploré.
La gauche dans son ensemble et les associations de défense de l'environnement sont farouchement opposées au texte, s'inquiétant de "reculs environnementaux sans précédent".
- "Folie normative" -
La loi d'orientation va "permettre d'ouvrir un nouveau regard, une nouvelle perspective, un nouveau cap pour l'agriculture française", avait au contraire espéré Laurent Duplomb (LR) dans l'après-midi, appelant à "stopper ce délire décroissant, cette folie normative, ces oppositions stériles" qui mettent les agriculteurs "sur le chemin du déclin".
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"Les agriculteurs viennent de vivre une année difficile. Ils ont été entravés dans leur volonté d'entreprendre", appuie la sénatrice Les Républicains Dominique Estrosi-Sassone
Ian LANGSDON - AFP
Le texte balaye des sujets très divers, de la transmission d'exploitations pour faire face au vieillissement du métier aux objectifs de l'enseignement agricole en passant par le statut des haies ou la répression des atteintes environnementales.
Il entend surtout ériger l'agriculture au rang "d'intérêt général majeur" et fait de la souveraineté alimentaire un "intérêt fondamental de la Nation".
Les sénateurs lui ont associé un principe décrié de "non-régression de la souveraineté alimentaire", mesure miroir de la "non-régression environnementale" déjà consacrée dans la loi. Principe maintenu dans le texte final.
Selon plusieurs sources parlementaires, le compromis parlementaire réintègre la notion de "transition climatique et environnementale" dans les grands enjeux des politiques agricole, un terme retiré par le Sénat. Mais le terme "d'agroécologie" reste bien écarté de cette loi, comme espéré par les sénateurs.
- "Marche forcée" -
Le Parlement a aussi nettement allégé les contraintes des agriculteurs en matière d'atteintes environnementales — largement dépénalisées —, d'installations agricoles ou de destruction de haies, privilégiant notamment une amende forfaitaire de 450 euros pour les atteintes "non-intentionnelles" aux espèces ou aux habitats naturels.
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La présidente LFI de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale, Aurélie Trouvé, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 5 février 2025
JULIEN DE ROSA - AFP/Archives
La création d'un guichet unique pour les transmissions d'exploitations agricole, baptisé France Services Agriculture, a été validé par les parlementaires, de même que le lancement d'un "Bachelor agro", diplôme de bac+3.
L'accélération de l'agenda parlementaire pour faire aboutir ce texte avant le Salon de l'agriculture avait ulcéré la gauche: le président des députés communistes André Chassaigne avait fait part mardi matin de sa "colère noire" face au "vote d'une loi à marche forcée". Le socialiste Dominique Potier avait dénoncé lui un texte "caricatural" et "déraisonnable".
Lors d'une visioconférence mardi matin, plusieurs ONG de défense de l'environnement ont aussi craint "la pire régression du droit de l'environnement depuis au moins une décennie", selon Laure Piolle, animatrice du réseau Agriculture et alimentation au sein de France Nature Environnement.
Par Antoine MAIGNAN, Stéphanie LEROUGE / Paris (AFP) / © 2025 AFP