Les bottes et la cravate: agriculteur le matin en Haute-Loire, sénateur le soir à Paris, Laurent Duplomb est la figure de la droite sénatoriale en matière agricole, chasseur assumé des normes environnementales dont le discours clivant chemine progressivement jusqu'au gouvernement.
"L'agro-écologie ? Personne n'a jamais compris ce que ça veut dire". "Ayons le courage de sortir de l'obscurantisme vert"... De saillie en saillie, le sénateur LR de la Haute-Loire s'est construit ces dernières années un profil détonant.
Son dernier succès parlementaire remonte à fin janvier: au bout d'un débat électrique et malgré les protestation à gauche, il fait voter au Sénat, avec l'appui du gouvernement, une proposition de loi "anti-entraves" au métier d'agriculteur.
Le texte, truffé d'irritants aux yeux des écologistes, contient une mesure érigée en "totem", la réintroduction en France de l'acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, autorisé ailleurs en Europe mais interdit en France.
Réaction immédiate au Puy-en-Velay: des apiculteurs emmurent de ruches sa permanence pour protester contre l'utilisation de ce produit nocif pour les abeilles.
- Ecouté en haut lieu -
Mais l'éleveur laitier n'en a cure. Ce fils d'ouvrier métallurgiste assume auprès de l'AFP d'avoir "levé les barrières" et apporté "un peu de liberté à nos paysans" face "au dogmatisme et à la surtransposition à tous les étages".
Cette "victoire", saluée par certains syndicats - la mesure était réclamée par l'alliance FNSEA-Jeunes agriculteurs (JA) et par la Coordination rurale - Laurent Duplomb l'obtient après plusieurs années d'un travail de conviction au Parlement et auprès des cabinets ministériels.
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Le sénateur (LR) Laurent Duplomb, le 11 février 2025 au Sénat, à Paris
ALAIN JOCARD - AFP/Archives
En 2019, il alerte déjà sur la perte de vitesse de l'agriculture française dans un premier rapport. En 2022, rebelote avec une nouvelle édition au vitriol sur "l'urgence de redresser la ferme France". Deux-cent-treize pages que le président du Sénat Gérard Larcher qualifie volontiers de "référence sur le sujet", non sans en distribuer quelques exemplaires à ses interlocuteurs lorsque la crise agricole fait rage, début 2024.
Longtemps, les arguments du sénateur restent lettre morte auprès des gouvernements macronistes. Mais la colère du secteur, puis l'arrivée au ministère de l'Agriculture d'Annie Genevard - LR elle aussi - lui offrent enfin des arbitrages favorables et une certaine écoute.
"En dix ans, jamais le ministère de la Transition écologique n'avait lâché comme ça", savoure l'un de ses proches.
Ces derniers jours, Laurent Duplomb a eu moins de temps pour les 130 vaches qu'il élève à Saint-Paulien avec sa femme, son fils et son neveu. Au Sénat, il est rapporteur de la très attendue loi d'orientation agricole, soumise au vote des sénateurs mardi.
- "Arrêtons de nous excuser" -
Le texte a été largement remanié à son initiative.
Exit les termes "d'agro-écologie" (le fait d'utiliser des techniques écologiques pour la production agricole), "d'agroforesterie" (la protection des cultures par des arbres) et de "transition climatique et environnementale", au profit de la plus neutre notion "d'adaptation" et de l'introduction d'un principe qui hérisse la gauche, la "non-régression de la souveraineté alimentaire".
"Ni résilience ni transition obligatoire, car le changement climatique n'aura pas la même portée partout", se justifie-t-il.
Sur le fond, le texte acte une large dépénalisation des atteintes environnementales en agriculture, qui fait sursauter la cheffe des Ecologistes Marine Tondelier, fustigeant des "esprits trumpisés".
"En tête à tête, cela ne se passe pas si mal avec lui. Mais dans l'hémicycle, s'il peut se faire un écolo, il ne va pas hésiter", décrit le sénateur écologiste Daniel Salmon, qui juge M. Duplomb "sensible à de nombreuses désinformations".
Pourfendeur féroce de la "vuittonisation de l'agriculture" - c'est-à-dire sa montée en gamme - et proche parmi les proches de Laurent Wauquiez, Laurent Duplomb assume de diviser. "La politique, ce n'est pas le monde des Bisounours. Ils ont leurs idées, j'ai les miennes, arrêtons de nous excuser", assène cet ancien président de chambre d'agriculture.
Et quand la gauche l'accuse d'être le "porte-plume officiel de la FNSEA au Sénat", l'ancien patron des JA locaux, devenu sénateur en 2017, a sa réponse bien préparée: "C'est plutôt la FNSEA qui fait le lobbying de Duplomb".
Mais même le premier syndicat, libéral et productiviste, juge qu’il va trop loin en proposant de supprimer le budget de l'Agence bio. Une énième charge à laquelle ne s’était pas opposé le gouvernement, qui a lui aussi fait machine arrière.
Par Antoine MAIGNAN / Paris (AFP) / © 2025 AFP