Des mesures "insuffisantes" contre les algues vertes, qui prolifèrent depuis des décennies sur le littoral breton: le tribunal administratif de Rennes, saisi par l'association Eau et Rivières de Bretagne (ERB), a "enjoint" jeudi au préfet de Bretagne de renforcer son action contre les pollutions aux nitrates.
Depuis 1971, des tonnes d'algues vertes s'échouent chaque année sur les plages bretonnes. En pourrissant, elles dégagent du sulfure d'hydrogène, un gaz mortel en cas d'exposition à de fortes concentrations.
"Les mesures mises en œuvre par le préfet de la région Bretagne sont insuffisantes pour lutter contre les échouages d'algues vertes sur le littoral breton", résume le tribunal dans un communiqué.
Saisi de deux recours déposés par ERB, le tribunal laisse au préfet "un délai de dix mois (pour prendre) toutes les mesures nécessaires pour permettre de réduire effectivement la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole sur le territoire breton, notamment en se dotant d'outils de contrôle permettant un pilotage effectif des actions menées".
Le même délai est donné au préfet pour mettre en oeuvre "toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique résultant de la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole".
"L'Etat prend acte de (cette) décision", a déclaré dans un communiqué la préfecture de Bretagne, disant examiner "les réponses à y apporter et les conditions d'un éventuel appel".
"La lutte contre la pollution par les nitrates" est déjà "engagée" par l'Etat, avec "de nouvelles actions lancées récemment", a-t-elle estimé.
- Une "première" -
La reconnaissance du préjudice écologique "est une première", a jugé le porte-parole d'ERB, Arnaud Clugery, saluant une décision "beaucoup plus large" que celles rendues antérieurement.
En octobre 2022, ERB avait déposé deux recours contre l'État pour "pallie(r) les insuffisances de sa politique de gestion des pollutions azotées". L'association avait demandé au tribunal de laisser à l'Etat un délai d'un mois pour agir et de lui imposer des astreintes d'un million d'euros par mois de retard.

La plage de Saint-Michel-en-Grève couverte d'algues vertes le 24 mai 2024
Damien MEYER - AFP/Archives
Elle n'a pas été suivie sur ce point par le tribunal.
ERB espérait suivre l'exemple de l'association Les Amis de la Terre, qui a fait condamner l'Etat à des dizaines de millions d'euros d'astreinte pour ses manquements dans la lutte contre la pollution de l'air.
Une déception, a reconnu Arnaud Clugery, précisant que ERB ne s'interdit pas de ressaisir le tribunal dans 10 mois.
Le deuxième recours portait sur une demande de "réparation des préjudices écologiques et moraux", le préjudice moral étant chiffré par l'association à 3,2 millions d'euros. Le tribunal a condamné l'Etat à verser 5.000 euros à Eau et Rivières de Bretagne.
- Elevage intensif -
En novembre 2022, la justice a écarté la responsabilité de l'Etat et débouté la famille de Jean-René Auffray, un joggeur mort en 2016 dans une vasière envahie d'algues vertes, à l'embouchure du Gouessant (Côtes d'Armor).
Début mars, un lien de causalité entre la mort d'un sanglier en septembre 2024 sur une plage proche de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor) a pu être établi avec "l'inhalation d'H2S, gaz émanant de la putréfaction des algues vertes", selon le parquet de Brest.
Dans ce même estuaire, 36 sangliers avaient été mortellement intoxiqués en 2011.

Des algues vertes sont ramassées sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, le 20 juillet 2024
Fred TANNEAU - AFP
Selon un rapport de la Cour des comptes de 2021, cette prolifération d'algues vertes est "à plus de 90% d'origine agricole" dans cette région où le recours aux engrais azotés a fortement progressé à partir des années 1960, et qui compte aujourd'hui 140.000 emplois dans l'agroalimentaire.
La France en est à son septième programme d'action régional depuis 2010, "aux effets incertains sur la qualité des eaux", selon la Cour des comptes.
En juillet 2023, le tribunal administratif de Rennes avait fixé un délai de quatre mois à l'État pour renforcer la lutte contre les algues vertes, dans le cadre d'une autre procédure menée par Eau et Rivières de Bretagne.
Par Laure FILLON / Rennes (AFP) / © 2025 AFP