"Un coup de massue": dans une sidérurgie européenne en crise, ArcelorMittal a annoncé mercredi envisager quelque 600 suppressions de postes dans le nord de la France, touchant les fonctions support délocalisées de l'Europe vers l'Inde, mais aussi la production, à la grande surprise des syndicats.
Aux prises avec une crise historique de l'acier en Europe, le deuxième sidérurgiste mondial avait déjà annoncé en février qu'il envisageait la délocalisation de certaines de ses activités européennes marketing, commercial ou informatique vers l'Inde.
Il a d'ailleurs officialisé un chiffre mercredi devant les syndicats lors d'un comité de groupe européen qui s'est tenu à Luxembourg: au total en Europe occidentale, "entre 1.250 et 1.400 postes" dans les fonctions non directement liées à la production d'acier seront transférés en Inde ou en Pologne pour faire des économies, ont indiqué deux sources syndicales -non démenties par la direction- à l'issue de la réunion.
En France, où se tenait en même temps un CSE extraordinaire portant sur sept usines du nord du pays, le bilan social est plus lourd que prévu.
Outre 210 à 260 postes support délocalisés, le groupe prévoit aussi de réduire la voilure de la production, avec quelque 400 postes de production supprimés dans les sept usines, soit plus de 600 postes français menacés.
Le projet concerne les usines de Dunkerque, Florange, Basse-Indre, Mardyck, Mouzon, Desvres et Montataire, qui emploient au total quelque 7.100 salariés.
"C'est un coup de massue parce que ça, on ne s'y attendait pas du tout. Ils ont profité de la réunion d'aujourd'hui, où on devait parler des fonctions de support, pour venir nous annoncer ça!", a lancé Jean-Marc Vecrin, représentant national CFDT à l'AFP.
- "tsunami industriel et social" -
"Si on veut tuer une entreprise, on ne peut pas faire mieux" a réagi, amer, Gaëtan Lecocq, le secrétaire général de la CGT ArcelorMittal Dunkerque, selon lequel 180 postes pourraient être touchés à Dunkerque.
Ce projet, "incohérent" et "incompréhensible", va "déstabiliser des services stratégiques" et aussi "mettre en danger les salariés de l'usine et le territoire du Dunkerquois", car il touchera notamment des salariés chargés de la sûreté du site industriel, a-t-il ajouté.
Selon lui, le "but de l'entreprise" est de "saboter l'outil industriel", pour "fermer" et "délocaliser en Inde et au Brésil". "Si Arcelor tombe, c'est l'ensemble de l'industrie du nord de la France qui va tomber", dit-il: un "tsunami industriel et social".
Même inquiétude chez le secrétaire du comité d'entreprise européen Jean-Luc Ruffin (CGT): "On commence par délocaliser les fonctions de support et demain, ce sera la production qui sera délocalisée", s'est-il inquiété.
De son côté, l'entreprise évoque une "décision difficile à prendre" dans un "contexte global difficile depuis plusieurs années pour l'industrie de l'acier en Europe".
"Il est trop tôt pour chiffrer le nombre de personnes concernées" par le plan d'économie, "il découlera d'un processus d'orientation-consultation qui commencera la semaine prochaine avec les organisations syndicales, il y aura notamment des opportunités de reclassement à l'intérieur du groupe", a dit Bruno Ribo, le nouveau directeur général d'ArcelorMittal France, entité en charge du nord du pays.
Selon M. Ribo, ces annonces ne devraient pas remettre en cause les projets d'investissement massif du groupe dans la décarbonation du site de Dunkerque, dont l'annonce a pour le moment été suspendue en raison de la crise.
"C'est la restauration de notre compétitivité qui doit nous aider à finaliser la décision d'investissement", a-t-il assuré à l'AFP.
Le ministre de l'Industrie Marc Ferracci en déplacement dans l'Eure-et-Loir a aussi voulu croire à cette annonce prochaine d'investissement tant attendue, en rappelant à la presse l'aide de 850 millions d'euros promise par l'Etat à ArcelorMittal pour son projet de 1,8 milliard, à condition qu'il passe à l'acte.
"Nous travaillons étroitement avec la direction d'Arcelor à ce que ces projets se concrétisent dans les prochains mois", a ajouté M. Ferracci.
Mais des responsables politiques, à gauche comme à droite, ont dénoncé l'attitude et l'ambigüité du groupe.
"Il est temps que le groupe nous dise quand ces investissements se feront. ils sont la seule garantie que l'acier continuera à être produit chez nous" a ainsi déclaré Xavier Bertrand, président LR de la région Hauts de France sur X.
"Ou il s'engage à investir en France, à transformer ses hauts fourneaux, ou il faut nationaliser ces entreprises" a lancé pour sa part Fabien Roussel (PCF) en estimant que "la guerre de l'acier est lancée".
Par Isabel MALSANG, Nicolas GUBERT, et le bureau de Lille / Paris (AFP) / © 2025 AFP