Au cœur du procès des effondrements de la rue d’Aubagne, les manquements de l’ex-mairie de droite ont été exposés au grand jour mardi par le tribunal, qui a mis en lumière le "manque de moyens endémique" des services dédiés aux immeubles en péril, malgré les alertes répétées.
La responsabilité du seul élu prévenu dans cette affaire, l'ex-adjoint au maire de Marseille Julien Ruas, renvoyé pour homicides involontaires et mise en danger de la vie d'autrui, a été décortiquée par le tribunal.
Son président Pascal Gand a énuméré les rapports alarmants, les études annonciatrices de catastrophes et les alertes lancées par les architectes des Bâtiments de France dans les années précédant le drame qui a fait 8 morts le 5 novembre 2018.
Malgré ces coups de projecteur sur l'habitat indigne dans la deuxième ville de France, la mairie n'a pas donné les moyens adaptés aux services en charge de la prévention et de la gestion des risques urbains et de la police des immeubles en péril, à la charge de M. Ruas, a relevé l'accusation.
Le directeur du Service de prévention et de gestion des risques (SPGR), Christophe Suanez, qui dépendait de M. Ruas, déplorait ainsi dans une lettre de début 2018, quelques mois avant le drame, que "le manque important" d'agents rendait "impossible le déploiement des moyens de sécurité civile et de sauvegarde".
Terriblement prémonitoire, M. Suanez avertissait dans cette lettre au maire de Marseille que cette situation "pourrait avoir de lourdes conséquences y compris pénales et médiatiques".
Évoquant Julien Ruas, Christophe Suanez a fait le portrait d'un élu peu investi. "Je n’ai pas le souvenir de l'avoir vu sur une intervention pour un péril grave", déclare celui dont les relations avec l'adjoint étaient "parfois compliquées pour des raisons de disponibilité".
- "La sécurité partout et pour tous" -
Répétant son mantra politique de l'époque, "la sécurité partout et pour tous", M. Ruas, quadragénaire physiquement imposant mais à la voix faible, a reconnu à la barre que son service ne pouvait "réaliser que le minimum de la délégation".
Les carences des services de secours et de prévention des risques de la ville de Marseille apparaissent criantes à la publication du rapport Nicol, en 2015, qui révèle que Marseille compte 40.000 logements indignes.
A ce moment-là, sollicitée par les services de l'État pour la rénovation d'un quartier dégradé, la mairie de Marseille est confrontée à ses limites.
Arlette Fructus, alors adjointe au Logement, a raconté à la barre avoir senti, après une réunion avec la préfecture à ce sujet, "des réticences de la part de mes collègues, qui m'ont expliqué les difficultés à envisager une action de cette dimension du fait de problèmes d’effectifs".
"En l’état des forces en présence on ne pouvait pas y arriver", confirme M. Ruas.
Début 2017, les élus finissent par alerter les plus hautes fonctions de la ville, et notamment le maire Jean-Claude Gaudin - décédé en mai, demandant le recrutement d'un architecte et d'un technicien pour les missions sur les bâtiment en péril.
Dans cette lettre, lue à l'audience, Julien Ruas et Arlette Fructus estiment "impératif de dégager des moyens humains supplémentaires", pour ne pas "courir le risque d'apparaître comme le maillon faible de la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil".
Une lettre restée sans réponse, M. Gaudin, ayant expliqué aux enquêteurs: "c'est une tradition chez les adjoints de demander des emplois supplémentaires, je freinais du mieux que je pouvais".
L'ex-adjoint au maire se voit aussi reprocher de ne pas avoir utilisé une enveloppe de 6,5 millions d'euros votée en 2013 pour réaliser des travaux d'office dans les bâtiments dangereux. Le tribunal s'étonne qu'en quatre ans, seulement 350.000 euros aient été dépensés malgré l'état catastrophique de l'habitat marseillais.
"La doctrine était d'inciter les propriétaires et rares ont été les fois où les propriétaires ont été défaillants", affirme M. Ruas. "Ce qui ressort de vos réponses, c'est une attitude très attentiste", tranche le président.
En fin de journée, devant les réponses très évasives de l'élu, le président s'agace: "le procès, c'est aujourd'hui, Monsieur Ruas!"
Par Luc LEROUX, Julie PACOREL / Marseille (AFP) / © 2024 AFP