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Au procès Depardieu, la victimisation secondaire comme stratégie de défense

"Menteuses", "vénales", "hystériques": ces accusations lancées aux plaignantes lors du procès de Gérard Depardieu participent à la remise en cause et à la culpabilisation de leur parole, engendrant une victimisation secondaire, dénoncent plusieurs professionnels du droit.

JULIEN DE ROSA - AFP

"Menteuses", "vénales", "hystériques": ces accusations lancées aux plaignantes lors du procès de Gérard Depardieu participent à la remise en cause et à la culpabilisation de leur parole, engendrant une victimisation secondaire, dénoncent plusieurs professionnels du droit.

Devant la salle d'audience médusée, Me Jérémie Assous pointe du doigt Amélie et Sarah et leur hurle dessus : "Il y a quelqu’un qui ment ici, et ce n’est pas mon client !".

Pendant les quatre jours d’audience, l’avocat de Gérard Depardieu a régulièrement pris à partie ces deux femmes qui accusent l’acteur d’agressions sexuelles sur le tournage du film "Les Volets verts" en 2021.

"Je n'ai commis aucune faute", a réagi Me Assous dimanche sur BFMTV. Selon lui, le terme" hystérique" a été employé en premier à son encontre par les avocates des plaignantes au cours d'une "audience avec d'énormes tensions" qui a toutefois permis selon lui de "faire éclater la vérité" en faveur de son client.

"Je ne suis pas là pour plaire mais pour défendre", a-t-il fait valoir.

Pour Me Carine Durrieu Diebolt, avocate d’Amélie, ce procès a été "l’exemple par excellence" de la victimisation secondaire dans l'enceinte d'un tribunal.

Sa cliente est sortie de l’audience "avec le sentiment que ça avait été plus violent que le moment de l’agression sexuelle elle-même".

- "Règne de la terreur" -

La victimisation secondaire est une double peine pour les victimes de violences sexistes et sexuelles qui, après avoir subi une première agression, sont confrontées à des préjugés, des questions déplacées et des remarques culpabilisantes par des acteurs d'un système judiciaire censé les protéger.

Dans une salle d’audience, "c’est une stratégie habituelle des agresseurs d’inverser la culpabilité", décrypte Emmanuelle Biet. "Finalement, qui est coupable ? Ce sont les victimes. Elles mentent, elles complotent, elles sont folles", pointe la présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV).

Si le procès Depardieu a mis en lumière cette stratégie agressive de défense, la "victimisation secondaire" avait déjà été évoquée lors du procès des viols de Mazan, avec la colère de Gisèle Pelicot face à "l’humiliation" provoquée par l’allégation en défense d’une complicité avec son ex-mari.

L’objectif de ces plaidoiries violentes serait de décourager les femmes à déposer plainte, selon Carine Durrieu Diebolt, autrice de "Violences sexuelles : quand la justice maltraite", à paraître en mai.

"Ça envoie tout simplement le message aux femmes: +allez-y, déposez plainte, mais vous verrez, on va vous réduire à néant avec les moyens qu’il faudra+", confirme Me Tewfik Bouzenoune, avocat des parties civiles au procès de Nicolas Bedos pour agressions sexuelles.

- "Bonbonnière" -

Dans une tribune publiée au lendemain du procès, près de 200 avocats ont appelé la justice à ne pas laisser de place au sexisme en audience, dénonçant "le mutisme absolu du tribunal dans son ensemble" et "l’absence de réaction de l’ordre des avocats" face aux invectives de Me Assous.

"Si personne ne met le holà, c’est une nouvelle fois une façon de faire taire des victimes", analyse Me Isabelle Steyer.

"Pour autant, on ne doit pas s’interdire de poser des questions, y compris à la partie civile. Toutes les questions dans le débat judiciaire doivent être posées", défend sa consœur, Me Claire Bouillon.

"Je ne pense pas que le tribunal doive être une bonbonnière. Je n’ai pas envie qu’on ait une défense corsetée. Il y a de la violence, de la rugosité dans la justice", assume Me Élodie Tuaillon-Hibon. "Mais il doit y avoir des limites, et certaines choses ne doivent pas être tolérées", poursuit la pénaliste.

La victimisation secondaire a été intégrée dans la première directive européenne sur les violences faites aux femmes, adoptée en mai 2024, et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a émis plusieurs jurisprudences visant à protéger les parties civiles.

Mais ces principes "ne sont pas mis en pratique", regrette Me Durrieu Diebolt.

"Est-ce que ces stratégies de défense vont mettre en péril le mouvement de libération de la parole ? Je ne crois pas", se félicite Me Bouzenoune. "Parce que je crois que, malgré les défaillances, les loupés, les victimes ont conscience que le système judiciaire est là pour les aider".

Par Céline BRUNEAU / Paris (AFP) / © 2025 AFP

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