Quand un avocat malaisien lui propose 500.000 euros en 2008 pour deux petits tableaux maritimes d'un peintre flamand qu'il a acheté 50.000 euros, Claude Guéant a été "heureusement surpris". Rien à voir jure-t-il avec une transaction fictive pour dissimuler un pot-de-vin.
"Je ne suis pas un spécialiste du marché de l'art. On m'a fait une proposition, je l'ai acceptée. Cette valeur n'était ni aberrante ni scandaleuse", répète jeudi à la barre l'ancien secrétaire général de l'Elysée, 80 ans.
Celui qui répond aux questions assis et pendant seulement une heure pour des raisons médicales s'est expliqué sur deux jours concernant un virement de 500.000 euros reçu le 3 mars 2008, qui lui a permis de financer ensuite un appartement à Paris.
Depuis une perquisition chez lui en 2013, l'ex-bras droit de Nicolas Sarkozy affirme que cet argent correspond à la vente de deux petits tableaux du peintre Andries Van Eertvelt, "Navires par mer agitée" et "Vaisseaux de haut bord par mer agitée".
Mais pour l'accusation, ces marines ont servi à maquiller un versement de l'intermédiaire Alexandre Djouhri en échange d'interventions futures en sa faveur. De la corruption, donc.
Claude Guéant dit avoir rencontré, à l'automne 2007, un avocat malaisien, Sivajothi Rajendram, lors d'un dîner au Ritz organisé par l'ambassadrice de Malaisie. Sauf que cette dernière "dément complètement", souligne la présidente.
"Je maintiens mes déclarations", répond Claude Guéant.
- Livres sterling -
Sa femme de ménage a déclaré qu'elle n'avait "aucun souvenir" d'avoir vu les tableaux chez lui ?

l'ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, au palais de justice de Paris, le 13 janvier 2025
Martin LELIEVRE - AFP
"Elle ne comprend pas bien et s'exprime encore plus mal en français. Elle est interrogée huit ans après" et les peintures lui ont été présentés sans leurs "cadres dorés", soutient l'ancien préfet.
Selon lui, l'avocat malaisien travaillait pour le compte d'un client discret qui, à partir de simples photos et de certificats anciens, a proposé 500.000 euros. M. Rajendram, depuis décédé, a au contraire déclaré que c'est Claude Guéant qui a fixé ce prix.
De plus, ce dernier se rappelle les avoir achetés au début des années 1990 pour 30.000 à 50.000 euros. Et en 2013, un expert judiciaire les a estimés entre 40.000 et 50.000 euros.
"D'autres experts très reconnus" ont dit "qu'il était tout à fait normal que je vende à ce prix", argue-t-il.
"Vous avez demandé une contre-expertise ?"
"Non", admet-il.
Le tribunal s'étonne aussi qu'il signe la promesse d'achat de son appartement le 4 janvier 2008, alors qu'il ne recevra que le 30 janvier la proposition pour les tableaux. De surcroît de la part d'un homme qu'il n'a rencontré qu'une fois.
"J'avais confiance ! C'est lui qui a rappelé plusieurs fois, il avait l'air déterminé".
Autre élément troublant, une facture transmise par M. Rajendram du 26 février 2008, où les noms des tableaux et du peintre comportent des fautes d'orthographe et qui est libellée... en livres sterling. "Toutes les caractéristiques d'un faux", relève le procureur financier. "Je n'ai rien à voir avec ça", estime le prévenu.
- RIB dans le coffre -
Les investigations ont mis au jour que Khaled Bugshan, un homme d'affaires saoudien lui aussi prévenu, avait viré 500.000 euros quelques jours avant la transaction sur le compte de l'avocat malaisien. Et que Khaled Bugshan avait été remboursé d'une somme correspondante en 2010 par l'intermédiaire Alexandre Djouhri.
Le RIB de Claude Guéant a, en outre, été retrouvé dans le coffre-fort d'Alexandre Djouhri, ainsi qu'un certificat d'un expert, dont une feuille à en-tête vierge était jointe au certificat des marines.
"Je n'ai eu qu'un interlocuteur, c'est M. Rajendram. Je ne sais pas quelle est l'origine du financement et je ne peux pas en dire davantage", soutient l'ancien ministre.
Alexandre Djouhri l'assure à son tour: il n'a "absolument rien" à voir avec le sujet. "Je sais pas qui m'a fourré ce RIB, en tout cas je ne l'ai jamais vu de ma vie !", lance-t-il, avant de dénoncer une "campagne de presse, sous couvert de Mediapart".
"Et alors, c'est M. Arfi et M. Plenel qui sont venus mettre le RIB dans votre coffre ?", s'agaçe la présidente.
Le procès se poursuit le 3 mars.
Par Anne LEC'HVIEN / Paris (AFP) / © 2025 AFP