La cour criminelle de Vaucluse a condamné Dominique Pelicot à la peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle et déclaré coupable l'ensemble de ses 50 coaccusés, jeudi matin à Avignon, clôturant ainsi quatre mois du procès des viols de Mazan, devenu symbole des violences faites aux femmes.
"M. Pelicot, vous êtes déclaré coupable de viols aggravés sur la personne de Gisèle Pelicot," a déclaré le président de la cour, Roger Arata, à celui qui avait assommé d'anxiolytiques sa désormais ex-épouse Gisèle, pendant une décennie, pour en faire son objet sexuel et la livrer à des dizaines d'hommes recrutés sur internet.
Puis, sans surprise, il a annoncé sa condamnation à la peine maximale possible pour viols aggravés, soit 20 ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté des deux tiers, suivant ainsi la demande de l'accusation dans son réquisitoire fin novembre.
L'avocate de Dominique Pelicot, Béatrice Zavarro, a indiqué que son client, "quelque peu hébété" par la période de sûreté prononcé, n'excluant pas un appel afin qu'il soit rejugé par "un jury populaire", la cour criminelle étant elle constituée uniquement de magistrats professionnels.
Pour les 50 coaccusés, des hommes de 27 à 74 ans dont aucun donc n'a été acquitté, le président Arata a ensuite égrené une à une les peines infligées, sans aucun commentaire ou motivation du verdict, lors de cette dernière audience qui a duré à peine plus d'une heure.
La peine la plus basse, trois ans de prison dont deux avec sursis, a été pour Joseph C., 69 ans, accusé d'"attouchements" sur Gisèle Pelicot, et qui échappe donc à la prison. La plus lourde, de 15 ans de réclusion criminelle, a visé Romain V., 63 ans, venu six fois à Mazan pour violer Mme Pelicot. Dans son réquisitoire, fin novembre, l'accusation avait demandé 18 ans de réclusion contre lui.
Le ministère public avait réclamé des peines de 10 à 18 ans de réclusion contre les 49 coaccusés jugés pour viols aggravés ou tentative de viol, soit des peines sensiblement plus sévères que celles finalement prononcées.
Au total l'accusation avait demandé 652 ans de prison contre les 51 accusés, qui ont finalement été condamnés à 428 années derrière les barreaux.
"Noël en prison, Pâques en zonzon", "la honte a changé de camp. Et la justice ?": les collages du collectif féministe des Amazones d'Avignon, dans la nuit, résumaient la pression sur les cinq juges professionnels de la cour.
"Le viol concerne des femmes du monde entier, c'est pour ça que le monde entier a les yeux sur ce qui va se passer", a expliqué à l'AFP une représentante de ce mouvement, alors que 180 médias, dont 86 étrangers, étaient présents sur place pour couvrir l'événement.
Après trois mois et demi d'audience, la cour criminelle de Vaucluse était partie délibérer lundi matin, après avoir donné une dernière fois la parole aux 51 accusés.
- "L'heure de vérité" -
Les trois enfants du couple, David, Caroline et Florian, étaient arrivés ensemble au tribunal vers 08h30, fendant une foule de spectateurs, militants et journalistes. Leur mère Gisèle était elle arrivée séparément et souriante, sous les bravos, un peu après 09H00, accompagnée de ses deux avocats.
Cette décision, dans un palais de justice d'Avignon sous haute protection policière, était scrutée de près, en France comme à l'étranger, tant ce procès a provoqué une onde de choc, depuis son ouverture le 2 septembre, devenant emblématique des questions autour des violences sexistes et sexuelles et plus largement des rapports hommes-femmes.
C'est "l'heure de vérité" pour le quotidien régional La Provence, Libération espérant à sa Une que les juges rendront "un verdict pour l'avenir", qui permette de rompre avec "la banalité du viol".
Dans son réquisitoire, Laure Chabaud, l'une des deux représentantes du ministère public, avait espéré que la décision de la cour dépasse le sort de ces accusés et envoie "un message d'espoir aux victimes de violences sexuelles".
A l'inverse, les avocats de la défense ont formulé une trentaine de demandes d'acquittement pour leurs clients qui, selon eux, ont été "manipulés" par le "monstre", le "loup" ou encore "l'ogre" Dominique Pelicot. Sans succès donc.
- "Merci Gisèle" -
La tension était palpable dans la salle d'audience, où un important dispositif policier avait été déployé. Reconnus coupables, plusieurs des 32 accusés ayant comparu libres devraient en effet dormir jeudi soir derrière les barreaux.
Prêts à cette éventualité, la plupart étaient d'ailleurs arrivés à l'audience avec un sac contenant quelques vêtements, a constaté un journaliste de l'AFP. En pleurs, l'un d'eux avait longuement étreint sa compagne avant de rentrer dans la salle.
Hors norme par sa durée, le nombre d'accusés, mais surtout l'atrocité des faits reprochés, ce procès a déjà marqué l'histoire. Dans les rangs des associations féministes et des parties civiles, l'espoir est grand de le voir faire évoluer les mentalités sur les viols, tentatives de viols et agressions sexuelles déclarés chaque année par plus de 200.000 femmes en France.
Cette affaire aura également permis d'incarner le fléau des violences sexuelles, à travers la figure de Gisèle Pelicot, qui de victime anonyme s'est muée au fil des semaines en une icône féministe exhortant les femmes "à ne plus se taire" afin que "la honte change de camp".
"Merci Gisèle", clamait une banderole accrochée aux remparts de la vieille ville d'Avignon jeudi matin, face au tribunal.
Par David COURBET, Philippe SIUBERSKI / Avignon (AFP) / © 2024 AFP