Un terme portant "atteinte à la dignité de la personne humaine": la justice a ordonné jeudi à la ville de Biarritz de débaptiser le quartier de la "Négresse", une "décision historique" pour l'association requérante qui salue un "refus de la banalisation du racisme".
La cour administrative d'appel de Bordeaux enjoint ainsi à la maire de Biarritz Maider Arosteguy (LR) "de saisir, dans un délai de trois mois, le conseil municipal, seul compétent pour décider de modifier le nom d'un lieu-dit situé sur le territoire de la commune, pour qu'il procède à l'abrogation des délibérations" de 1861 et 1986.
Celles-ci avaient permis d'attribuer le nom "La Négresse" à un quartier proche de la gare puis de dénommer ainsi une nouvelle rue.
Mémoires et Partages, qui promeut le travail de mémoire sur la colonisation et l'esclavage, avait demandé en 2019 à la mairie de Biarritz d'abroger ces délibérations.
La maire ayant refusé, l'association bordelaise avait saisi le tribunal administratif de Pau qui a rejeté son recours par un jugement du 21 décembre 2023.
Saisie ensuite par l'association, la cour administrative d'appel a donc annoncé jeudi annuler "la décision attaquée".
- "Dignité" -
Suivant l'avis mi-janvier de la rapporteure publique, qui avait estimé que "l'évolution sémantique" du mot lui confère aujourd'hui une "connotation insultante", la cour souligne que ce terme est "de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine" et peut être perçu "comme comportant un caractère offensant à l'égard des personnes d'origine africaine".
Selon les historiens, le terme "La Négresse" aurait été attribué à ce quartier par des soldats napoléoniens au début du XIXe siècle en raison de la présence d'une auberge tenue "par une femme très brune" et aurait supplanté le nom basque à compter de 1851. Il est probable que cette femme ait été une ancienne esclave ou une descendante d'esclave.
D'autres sources attribuent l'origine du terme à l'expression gasconne "lane gresse", désignant une terre d'argile présente dans cette partie de la commune.
"Quelles que soient l'origine supposée de cette appellation et sa dimension historique revendiquée par la commune de Biarritz, le terme +La Négresse+ évoque aujourd'hui, de façon dévalorisante, l'origine raciale d'une femme dont l'identité n'a d'ailleurs pas été formellement identifiée", souligne la cour dans un communiqué.
Les avocats de l'association Mémoires et Partages ont salué une décision "qui fait enfin prévaloir le droit et les valeurs républicaines".
"Débaptiser le quartier +La Négresse+ s'imposait depuis longtemps, tant ce terme participe de la banalisation d'un archétype raciste, à une époque où notre vigilance doit être plus que jamais renforcée", estiment dans un communiqué Me Colomba Grossi et Me William Bourdon.
- "Décision historique" -
Le directeur et fondateur de l'association requérante, Karfa Diallo, s'est, lui, "ému" d'une "décision historique".
"C'est le triomphe des valeurs de la République, c'est le refus de la banalisation du racisme, du sexisme, cette appellation, cet outrage, n'avait que trop duré, il était temps d'y mettre un terme", a-t-il déclaré à l'AFP.
A l'inverse, la maire de Biarritz, Mme Arosteguy, a souligné sa "déception" puisque qu'une telle décision "signifie que la justice n'a pas suivi l'explication historique de ce nom mais a préféré rester sur une lecture contemporaine".
Elle a indiqué à l'AFP vouloir porter la décision devant le Conseil d'Etat. "Et même si la justice nous impose le changement de nom, de toute façon les Biarrots continueront d'appeler (le quartier) comme ça", dit-elle.
Pour M. Diallo, cette décision comporte une dimension d'autant plus symbolique du fait que l'hôtel particulier abritant la cour administrative d'appel de Bordeaux "est marquée par l'histoire de l'esclavage et de la traite".
L'hôtel Nairac a été construit en 1777 "par la famille bordelaise qui a déporté le plus d'Africains en Amérique", selon son association.
La France a activement participé à la traite négrière à partir du XVIIe siècle et jusqu'à l'abolition de l'esclavage en 1848.
Bordeaux était l'un des principaux ports négriers, après Nantes. Environ 500 expéditions sont parties de la capitale girondine vers l'Afrique entre 1672 et 1837, entraînant la déportation de 120.000 à 150.000 Noirs.
L'année 2026 marquera le 25e anniversaire de la loi de 2001 qui a reconnu l'esclavage comme crime contre l'Humanité et institué une journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage.
Par Marisol RIFAI / Bordeaux (AFP) / © 2025 AFP