L'enquête historique sur un cimetière longtemps oublié d'une soixantaine de harkis et d'enfants de harkis décédés au camp de Rivesaltes a enregistré lundi des avancées mais il manque encore "des éléments", selon la ministre déléguée à la Mémoire, Patricia Miralles, notamment sur les raisons du transfert de leurs ossements dans les années 1980.
"Nous, archéologues, on a recueilli des preuves, on a remis un rapport qui rassemble tous les éléments documentaires permettant de localiser le cimetière et de montrer qu'il a été effacé", a expliqué à l'AFP Dominique Garcia, président de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP).
Les chercheurs de cet institut ont expliqué lundi matin à une soixantaine de représentants des familles de harkis venus de toute la France et qui pour certains découvraient avec émotion pour la première fois l'endroit - un rectangle de terre et de rocaille identifiable par un grillage au milieu de la garrigue - que leurs proches avaient été enterrés ici et que oui, le cimetière avait ensuite été "effacé".
En attestent des photos aériennes de différentes époques puis les fouilles réalisées sur place au cours de l'année 2024 à la demande du ministère des Armées répondant aux requêtes des familles, et qui ont permis de retrouver, enfouis, des piquets de délimitation du cimetière, ou encore des plaques métalliques numérotant les tombes.
- Ossements retrouvés -

La ministre déléguée à la Mémoire et aux Anciens Combattants, Patricia Mirallès, le 21 février 2025 à Rivesaltes
Valentine CHAPUIS - AFP/Archives
Après des échanges à huis clos avec les familles, Mme Miralles a salué "une phase essentielle" pour que le camp de Rivesaltes, qui a accueilli "dans des conditions indignes" près de 22.000 harkis (le nom donné aux auxiliaires algériens de l'armée française) et membres de leurs familles après l'indépendance de l'Algérie, entre 1962 et 1965, ne soit plus un "non-lieu de mémoire".
Mais elle a aussi reconnu lundi qu'il manquait "des éléments" pour comprendre pourquoi leurs ossements ont été déplacés au cours du mois de septembre 1986, et le cimetière du camp ainsi rayé de la carte, sans que les familles ne reçoivent aucune information.
La ministre a, à cet égard, détaillé le contenu de quatre caisses contenant des milliers d'ossements retrouvés dans le cimetière communal de Rivesaltes et qui pourraient justement être ceux du cimetière harki, "quatre adultes et une cinquantaine d'enfants de 0 à 3 ans".
Il n'existe "pas encore de certitude" mais une "très forte présomption" qu'il s'agisse bien des ossements des victimes du camp, a précisé le professeur en anthropologie biologique Pascal Adalian, qui dirige l'équipe de recherche marseillaise chargée de les étudier.
- "Chercher et transmettre" -

La ministre déléguée à la Mémoire, Patricia Miralles, au camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), le 28 avril 2025
Valentine CHAPUIS - AFP
Pour expliquer le transfert des ossements, Mme Miralles a indiqué à la presse compter désormais "beaucoup sur le maire de Rivesaltes" et ses recherches dans les archives municipales.
"On ne fait que ça: chercher et transmettre, on ne fait aucune rétention de document. Tout ce qu'on trouve, on le transmet", a expliqué à l'AFP l'édile, André Bascou, 81 ans, en poste depuis 1983 et présent lundi tout au long de la journée organisée au mémorial du camp.
"Actuellement, nous sommes en train de scanner toutes les délibérations du conseil municipal de 1983 à 1987 ainsi que tous les arrêtés du maire, et tout ce qu'on trouve, on communique", a-t-il insisté.
Les analyses sur les ossements doivent se poursuivre mais M. Adalian a prévenu les familles: "On ne fera pas des miracles, parce qu'on n'a pas beaucoup d'informations", compte tenu des très jeunes âges des enfants décédés, de la petitesse des os et de la dégradation du peu d'ADN qu'ils détiennent peut-être encore, a-t-il détaillé.
Au terme des interventions, même si des pas vers la vérité historique étaient salués par certains au sein des familles, d'autres confiaient leur déception après une "journée éprouvante psychologiquement", comme Marie Gougache du collectif des disparus du camp de Rivesaltes, dont la soeur Aziza y est décédée en mars 1963.
"Une de nos batailles va être de sanctuariser ce site. C'était un cimetière, ça restera un cimetière, il faut continuer le combat pour qu'il soit sanctuarisé avec un dépôt de stèle", a-t-elle dit.
Quant aux tests ADN, elle se dit personnelement prête à les demander, si c'est possible de les mener. "Moi, je n'ai pas fait mon deuil, je ne sais pas si ma sœur est à Marseille, on reste encore avec beaucoup de questions."
Par Eloi ROUYER / Rivesaltes (France) (AFP) / © 2025 AFP