Ils l'avaient quittée "totalement éventrée" et ne l'avaient plus revue depuis cinq ans. Le chef de bataillon Peneaud et la capitaine Humbert, de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, sont restés "sans voix" dimanche en pénétrant de nouveau dans Notre-Dame.
"C'est saisissant. Quand j'ai passé la porte en rentrant, j'ai eu ce même besoin de reprendre mon souffle tellement c'est magnifique. Incroyable !": la capitaine Anne-Sixtine Humbert, réserviste pour la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) en tant qu'experte patrimoine, a été emportée par la lumière inondant l'édifice, sublimée par les rayons du soleil de ce dimanche hivernal.
Il y a cinq ans, elle avait pénétré dans la cathédrale au lendemain de l'incendie pour sauver quelque 40 œuvres de Notre-Dame. "Tout était dans la pénombre, il n'y avait plus rien, plus de lumière, à part ce trou béant", se souvient-elle, en se tenant sous ce plafond éventré, aux côtés du chef de bataillon David Peneaud, qui lui était intervenu dès le 15 avril, jour du terrible incendie.
"Elle est plus belle qu'avant, en fait. On a l'impression qu'il ne s'est rien passé", glisse l'officier, "happé par le plafond" dès son entrée dans la cathédrale.
Les deux sapeurs-pompiers de Paris ont revêtu pour l'occasion leur tenue de sortie, costume bleu marine, képi en velours et cravate noire. Des touristes s'empressent de faire des selfies à l'extérieur avec eux. A l'intérieur, une fidèle demande un autographe à ces "héros" qui ont sauvé Notre-Dame. "C'est un honneur pour moi", leur dit-elle.
David Peneaud et Anne-Sixtine Humbert font partie d'une trentaine de ces "hommes du feu" invités dimanche pour la huitième et dernière messe de l'octave de réouverture de la cathédrale, dédiée aux pompiers de Paris, aux compagnons et à tous ceux qui ont oeuvré sur le chantier.
"C'est la première fois qu'on revient sur une intervention cinq ans après. Ca ne m'était jamais arrivé et je pense que ça ne m'arrivera plus. Aussi bien l'intervention était exceptionnelle (en 2019) aussi bien cet événement-là est autant exceptionnel", livre le chef de bataillon Peneaud, fort de ses 32 ans de service.
"J'ai veillé Notre-Dame pendant quatre jours", se rappelle-t-il, missionné pour contrer un potentiel risque d'explosion en raison des fluides environnants, puis au chevet de l'édifice les jours suivants.
Il n'a rien oublié de cet incendie maîtrisé parce que ses collègues et lui ont su "être au rendez-vous ce soir-là grâce à un collectif qui s'entraîne tous les jours pour répondre à ce style de crise exceptionnel".
Quelque 650 pompiers - dont aucun n'a été blessé - ont bataillé pour que les beffrois ne s'effondrent pas, ce qui aurait entraîné la perte de Notre-Dame.
- Evacuation "improbable" -
Arrivée sur place le 16 avril, Anne-Sixtine Humbert, dont la spécialité est l'évacuation d'oeuvres prioritaires, s'est employée à décrocher des tableaux, à emballer des objets liturgiques et extraire de l'édifice ceux qui le pouvaient.
"Quand je suis rentrée, j'ai eu l'impression de prendre une vraie claque. Je me disais que ce n'était pas possible et pourtant, je savais que ça avait vraiment brûlé. C'était très sombre, il y avait de la suie partout, il y avait cette odeur de cramé qui restait très présente", se remémore la capitaine de 33 ans.
"Ce qui m'a le plus frappée, c'était tous les petits lumignons, les petites bougies, qui étaient encore allumées à l'intérieur de Notre-Dame alors qu'il y avait eu quand même beaucoup d'eau versée pour éteindre l'incendie. Et de voir ce trou immense dans la toiture, on voyait le ciel à travers le toit... Et à côté de ça, il y avait cette Vierge à l'enfant, à droite de l'autel, qui était toujours debout, restée là au milieu de tous ces débris", raconte-t-elle encore.
Ce jour-là, elle a perdu la notion du temps, mais "les oeuvres les plus inestimables" ont été sauvées.
"Chez les pompiers, ça restera une évacuation hors du temps et complètement improbable", confie Anne-Sixtine Humbert, qui a d'entrée porté son regard sur la Vierge à l'enfant ce dimanche. "J'avais vraiment envie de m'assurer qu'elle était toujours là".
La capitaine n'était jamais revenue à Notre-Dame, évitant ce lieu "plutôt volontairement". Le chef de bataillon Peneaud, lui, boit une bière tous les 15 avril avec quelques collègues dans un troquet du coin.
Par Sabine COLPART / Paris (AFP) / © 2024 AFP