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Claire Billet : "Les migrants qui veulent venir viendront"

Par La Rédaction

Journaliste indépendante, Claire Billet a réalisé un documentaire pour Envoyé Spécial dans lequel elle a suivi plusieurs familles de migrants lors de leur périple à travers l'Europe.

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Olivier Jobard et Claire Billet

©Prix Bayeux Calvados
Olivier Jobard et Claire Billet

Christine Bouillot : Vous avez suivi ces familles, un père afghan avec ses deux enfants, 2 familles syriennes, qui ont un point commun, vouloir traverser l'Europe et espérer reconstruire leurs vies ailleurs. Ces familles, vous les suivez toujours ?Claire Billet : Oui, on a, avec Olivier Jobard, qui est photographe et co-réalisateur du documentaire, décidé de raconter aussi leur exil pour raconter que ce n'était pas la fin du voyage, que, quand il y a exil à cause d'une guerre, en particulier sur la Syrie, le quotidien et l'arrivée dans un pays nouveau fait partie d'un périple qui n'est plus géographique mais qui existe toujours. C'était l'idée de notre propos.Quand vous avez commencé à les suivre, à leur arrivée en Grèce, on a le sentiment qu'on avait presque oublié, au-delà des discours politiques des dirigeants de l'Union européenne, que derrière ces mots prononcés par nos responsables, il y avait des hommes, des femmes, des enfants, des êtres humains, tout simplement. C'est un peu votre sentiment ?C'est un peu le travail que je fais depuis plusieurs années maintenant puisque j'ai commencé en 2013, avec une route avec un groupe de jeunes Afghans, qu'on a suivi pendant pratiquement 6 mois, avec 4 mois de périple d'Afghanistan jusqu'en France.L'idée, c'est d'incarner la migration. Je trouve qu'aujourd'hui, quand on parle de migrants, de migrations, ce sont des termes génériques et on est un peu dans la déshumanisation, qui ne nous permet pas de comprendre la situation. Donc nous avons suivi, par exemple, Ahmed et Jihan, un couple. Ahmed est un fils de Palestinien déjà exilé en Syrie, qui a fui la guerre et qui est maintenant dans un petit village de Suède. Sa femme était interprète dans une entreprise de gestion immobilière. Lui, vendait des chaussures. Ils ont décidé de partir parce qu'ils ne voyaient plus d'avenir pour leurs enfants. Ils sont partis avec deux enfants en bas-âge et leur nièce et l'idée était d'aller en Suède parce que c'est là, nous disaient-ils à l'époque, qu'ils pouvaient obtenir des papiers le plus rapidement possible pour que, s'ils le pouvaient, avoir un passeport.

"L'exil n'est pas une solution"

Aujourd'hui, ils vont bien ?Ils ne vont pas bien, non. L'exil n'est pas une solution. Le plus important pour eux étaient de fuir une zone de guerre, ça a été fait, donc ils en sont contents. Après, ils n'envisageaient pas, je pense, la dureté de la vie dans un pays dont la culture, la géographie, le climat, est totalement à l'opposé du leur.Par ailleurs, ils pensaient que ça prendrait moins de temps d'obtenir ou non des papiers. Ils sont dans une espèce de limbe, un entre-deux où on attend sans savoir quoi et c'est extrêmement déprimant.

Claire Billet

©clairebillet.com
Claire Billet

Il y a aussi la question des enfants qui suivent coûte que coûte, on le voit dans votre reportage, qui font des heures entières de marche, qui doivent intégrer l'inquiétude des adultes qui les entourent. Comment vont-ils ces enfants ?Les enfants vont bien. Sur la route, le petit-fils de Jihan, qui avait un an et demi, de façon très surprenante, au moment de tensions, où il fallait marcher sans faire de bruit, dormait. Ou alors il était silencieux. Il a compris, d'une certaine façon, qu'à certains moments, il se passait des choses un peu extraordinaires, hors du commun.Aujourd'hui, ils vont bien. Leur petite fille, qui a 5 ans, va à l'école et a commencé les cours de langue. En fait, ils l'ont fait pour eux et ce sont ces enfants qui sont un peu leur espoir de regarder vers l'avenir pour la construction d'une nouvelle vie.Est-ce qu'ils suivent, est-ce qu'ils écoutent les débats qu'il y a autour de la question des migrants ? Est-ce qu'aujourd'hui, c'est quelque chose auquel ils s'attachent ?Oui, énormément. Après, je ne parle que des Syriens en Suède. Ils en parlent beaucoup entre eux, dans la communauté exilée, sur Facebook, via leurs amis, leurs familles.Ce qui se passe, c'est que souvent, il y a un ou deux membres de la famille qui sont partis en clandestins, parce que les risques d'un voyage clandestin sont élevés et que ça coûte très cher aussi de payer les passeurs. Donc l'idée est, une fois qu'un des membres est arrivé en Europe, de faire une demande de réunion familiale. Nous, on a suivi des familles complètement brisées et par la guerre et par l'exil, séparées, éclatées, qui attendent aujourd'hui de pouvoir faire venir leurs proches.Il y avait aussi un homme, dans notre groupe, qui est parti pour l'Allemagne et qui avait laissé sa femme enceinte et leur petite fille en Syrie. Il attendait d'arriver, le plus vite possible, en Allemagne, parce qu'il savait que ce serait l'endroit où il aurait le plus rapidement des papiers.Donc ils suivent évidemment l'actualité pour savoir s'ils vont pouvoir faire venir leurs proches ou non, puisque les lois sont en pleine évolution en ce moment.

"Plus c'est fermé, plus les passeurs demandent de l'argent"

Les lois et aussi les frontières, qui s'ouvrent et se ferment semaine après semaine. Ce que l'on ressent aussi, c'est que, quoi qu'il arrive, par tous les moyens, ils veulent quitter, ils veulent franchir, ils ont un point de chute et veulent absolument passer. C'est vraiment quelque chose qui ressort et qui est très prégnant dans votre reportage.Il est difficile d'être catégorique sur la question des frontières parce que les routes migratoires sont très mouvantes. Il y a deux ans, on pouvait passer en Grèce, mais c'était très compliqué parce qu'on prenait le risque de se faire repousser par des gardes-côtes grecs.Au début de l'été, les frontières ont été ouvertes, après elles ont été refermées. C'est donc compliqué d'arriver à parler de migration sur la durée, parce que ça évolue.Ce qui est sûr, c'est que les gens qui veulent venir viendront. Plus les frontières seront fermées, plus les familles vont faire appel, comme nous l'avons vu sur le terrain, à des passeurs. Nous, par exemple, nous étions à un moment au nord de la Grèce à un moment où la zone tampon de frontière avec la Macédoine était interdite aux migrants. Les migrants, évidemment, tenaient absolument à passer, donc ils ont payé des chauffeurs de voiture, des petits malfrats ou des petits criminels locaux, qui les ont conduit dans la clandestinité au plus près de la frontière.Après, sur une autre frontière, ce sont des militants grecs qui ont aidé les Syriens à passer côté macédonien sans se faire attraper par la police ou par des bandits qu'on croise sur le chemin. Les solutions sont toujours trouvées mais plus c'est fermé, plus les passeurs demandent de l'argent.On le voit bien dans le reportage, des milliers d'euros qui sont réclamés par les passeurs. Ça demande des sommes colossales. En suivant ces réfugiés syriens jusqu'en Suède, comment ont-ils réagi auprès de vous, journaliste française, aux attentats à Paris ? Il y a de tout, à la fois, venant des Syriens ou des Afghans, qui connaissent la guerre depuis des décennies, des réactions différentes. Il y a des gens qui pleurent pour nous et qui le disent, il y a des gens qui pleurent pour nous sans le dire, il y a ceux qui disent, d'une façon assez dure, 'Maintenant, vous savez ce que c'est, des attentats qui nous arrivent toutes les 5 minutes dans notre pays'.En sachant qu'il y a aussi le débat sur comment sortir et mener ce combat contre le terrorisme, sachant qu'il y a des frappes, aujourd'hui, qui s'accentuent sur leur pays. Comment le vivent-ils ?Je connais des habitants de Raqqa, par exemple, qui expliquaient que, la plupart du temps, les bombes tombaient sur les civils. Donc il y a des habitants de Syrie qui sont évidemment peu satisfaits de cette décision.

"Incarner les questions qui nous semblent complexes"

Comment est-ce que vous, en tant que citoyenne, restez à votre place ? Comment est-ce qu'on met de la distance par rapport à ces histoires que vous suivez, ces familles qui cherchent à échapper au pire ?C'est une question un peu difficile. Quand on est dans un travail plus documentaire, on ne cherche pas à mettre de distance, à mon sens. En tout cas, j'essaie de créer de la proximité pour pouvoir raconter au mieux, incarner les questions qui nous semblent un peu complexes ou lointaines de migrations, et intéresser les gens à un sujet qui ne les intéresserait pas forcément.Après, mettre de la distance, c'est comme dans les zones de conflit. Quand un journaliste va dans une zone de conflit, il doit pouvoir se protéger pour pouvoir continuer à faire son travail.Est-ce que vous cherchez à dire quelque chose de particulier au travers de toutes ces histoires ?Je cherche à faire en sorte que les gens qui regardent les films, comme ceux qui voient les photographies d'Olivier Jobard ou lisent notre livre, j'ai envie qu'ils se mettent à la place des migrants, qu'ils se disent 'et si 'c'était moi, qu'est-ce que je ferais ? Qu'est-ce qui se passerait ?'. Et après, donner à réfléchir.Est-ce qu'on n'est la même personne, une fois qu'on a suivi ces histoires, qu'on a vu ces familles ?Je pense qu'on en apprend un peu plus sur soi-même, qu'on a de la chance d'avoir un passeport français, en tout cas pour moi. Que, quand on ne sait pas nager, c'est dur de monter sur un bateau en pleine nuit, avec ses enfants. On apprend beaucoup de choses.

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