En retrait, Emmanuel Macron? "Il n'a jamais renoncé à être au centre du jeu. Vous verrez", prédisait début novembre un confident. Voilà que la crise précipite le retour en première ligne du président pour préparer l'après-Barnier.
Et l'expose aussi, lui que beaucoup jugent responsable de cette impasse.
Sauf coup de théâtre, le gouvernement de Michel Barnier devrait être renversé cette semaine par les députés. Le pays replonge donc dans la plus grave crise politique de la Ve République, provoquée par la dissolution de l'Assemblée nationale et que la nomination de ce Premier ministre de droite, il y a tout juste trois mois, n'aura fait que mettre entre parenthèses.
Jusqu'au bout, l'Elysée a campé sur la même ligne: "le président de la République souhaite la stabilité", martelait encore son entourage lundi matin. Avant de se refuser à tout commentaire quand la censure s'est avérée inéluctable.
Mais ces derniers temps, le chef de l'Etat avait intégré cette option. Il a donc commencé à "réfléchir" discrètement à la suite, reconnaît un proche.
Ce dernier pense qu'il va devoir "aller assez vite pour nommer quelqu'un" à Matignon, et ne pas temporiser à outrance comme il l'avait fait après les législatives, cet été.
Dans son camp, si les liens se sont distendus, certains espèrent encore qu'il trouve la martingale. "La Ve République, ça ne marche pas sans le président de la République. Après quelques tours autour de la Terre, Macron doit revenir dans l'atmosphère et donner une direction", plaide un député de son parti, Renaissance.
- "Légitimité démocratique" -
Emmanuel Macron n'a toutefois pas beaucoup d'atouts en main. Renommer Michel Barnier? Une autre personnalité à la tête du même attelage fragile entre le centre et la droite? Ou se tourner vers l'ex-Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, qu'il avait hésité à désigner en septembre?
Quelle que soit la piste retenue, l'équation reste la même à l'Assemblée: aucune configuration ne semble promettre une majorité pour faire passer un budget pour 2025, alors que les marchés se montrent de plus en plus fébriles.
Sa posture sera aussi scrutée de près.
Quasiment muet sur la politique intérieure ces derniers mois, il retrouve son rôle d'arbitre et va devoir s'exprimer. Mais "il ne peut pas paraître celui qui danse sur la tombe de Barnier", prévient une ex-ministre macroniste.
"L'enjeu pour lui va être de rester en surplomb alors que l'opinion le rend responsable de la situation, en raison des deux éléments déterminants que sont la dissolution et le déficit public dégradé de la France", explique le sondeur Bernard Sananès, de l'institut Elabe. Selon lui, "il reçoit l'addition de tout ce qui lui est reproché, y compris par une partie de son électorat".
Si les stratèges de l'Elysée espéraient que la réserve présidentielle lui redonne des couleurs dans l'opinion, il n'en est rien: sa popularité est au plus bas depuis son arrivée au pouvoir en 2017, ou depuis la crise des gilets jaunes l'année suivante, selon les baromètres.
L'échec de Michel Barnier est aussi considéré par plusieurs de ses opposants comme le sien, puisque c'est lui qui avait sorti l'ex-commissaire européen de sa retraite. A l'époque, il avait préféré le gaulliste de 73 ans à une personnalité de gauche en assurant qu'il répondait davantage à un critère de "non-censurabilité" qui sonne un peu creux aujourd'hui.
A gauche, mais aussi à l'extrême droite et parfois au centre, quelques voix s'élèvent pour affirmer qu'une démission d'Emmanuel Macron est la seule solution pour dénouer la crise. Parmi ses soutiens aussi, certains redoutent que ces appels s'amplifient si à la censure probable de ce gouvernement s'ajoute, de manière rapprochée, la chute du suivant.
"Ça devient très compliqué", estime le politologue Bruno Cautrès. "D'un point de vue de la légitimité démocratique, il n'a plus la moindre marge de manoeuvre pour se tromper à nouveau: s'il nomme un Premier ministre qui est lui aussi censuré, ou s'il dissout l'été prochain et perd encore les élections, je ne vois pas comment il peut se maintenir."
Par Francesco FONTEMAGGI / Paris (AFP) / © 2024 AFP