Rendons grâces à Jeanne qui, par-delà la mort, sauve la France et boute l’ennemi hors de nos frontières. Pas sûr, cependant, qu’on puisse la surnommer la pucelle car il s’agit bien sûr de Jeanne Calment. L’ennemi, qui n’est pas anglais mais russe, avait perpétré un grave attentat contre l’honneur national. Il a capitulé devant la contre-offensive menée par le procureur de Tarascon. Qui a consacré notre éclatante victoire en annonçant mercredi 18 septembre qu’il n’ouvrirait pas de procédure pour changer l’acte de décès de notre héroïne – on en conclut a contrario que, si le totem de doyenne avait été usurpé notre justice surchargée aurait pris le temps de rectifier post-mortem l’état-civil de la menteuse pour mettre fin à un intolérable désordre bureaucratique. On comprend que le monde entier envie notre administration.
Pour ceux qui ont raté un épisode, un petit rappel de cette crise franco-russe s’impose. Lorsqu’en 1997, Jeanne Calment meurt, cocorico on en est sûr, c’est la championne du monde. On a fouillé aux quatre coins de la planète, on n’a pas trouvé plus doyen que la doyenne. Et voilà que, 20 ans après, le méchant docteur Zak, russe et mathématicien de son état, arrive avec sa batterie d’ordinateurs et lâche une bombe. Jeanne n’était pas Jeanne mais sa fille, usurpatrice d’identité pour frauder les assurances ou le fisc. On se demande où il est allé chercher un tel bobard. Donc, plus de record du monde. Cette manœuvre de déstabilisation a failli marcher. Heureusement, après moults rebondissements, l’intervention d’un spécialiste es centenaires et peut-être la datation de la dépouille au carbone 14, une contre –expertise ordonnée par le tribunal de Tarascon a lavé l’affront. Cocorico : Jeanne avait bien 122 ans.
Cette affaire rocambolesque est pleine d’enseignements. Elle rappelle par exemple que l’esprit de compétition, que certains prétendent faire disparaître par l’éducation ou plutôt la rééducation, se niche vraiment n’importe où, ce qui signifie peut-être qu’il est l’un des moteurs du progrès humain. Naguère, le pouvoir et la gloire des princes s’appréciaient à l’aune de leurs faits d’armes. Aujourd’hui, le rayonnement d’un pays se mesure à ses performances scientifiques, technologiques et artistiques. Et nous, comme champions du monde, nous avons Kylian Mbapé pour le foot et Jeanne Calment pour la longévité, médaille d’or d’endurance en quelque sorte. Comme si notre seule ambition était précisément de durer. Difficile de ne pas y voir une allégorie du destin de l’Europe en train de devenir la maison de retraite du monde.
Cependant, il vaudrait peut-être mieux que l’exploit de Jeanne, cette épopée à travers deux siècles qui nous emplit de fierté, reste un cas isolé. Parce que sinon, chers jeunes qui me lisez, vous défilerez un jour pour la retraite à 90 ans.
Elisabeth Levy: Jeanne Calment, médaille d'or d'endurance et allégorie du destin de l'Europe
Chronique