Fayard publie Mein Kampf. Ce choix doit-il inquiéter ?
Ce qui m’inquiète, c’est qu’on se pose la question. Déjà, la nouvelle édition ne s’appelle pas Mein Kampf - comme si le nom avait un pouvoir maléfique - mais Historiciser le Mal, une édition critique de Mein Kampf. Le nom d’Hitler ne figure pas en couverture et Fayard s’est entouré de mille précautions pour ne pas être suspecté de faire un coup éditorial. L’appareil critique est deux fois plus important que le texte avec pas moins de 2800 notes. Les droits seront versés à la Fondation Auschwitz-Birkenau tandis que le livre est disponible sur commande pour la modique somme de 100 euros.
Fayard a reçu des lettres d’insultes, des menaces. En l’occurrence, la polémique ne vient pas des historiens, mais des réseaux sociaux, d’activistes de la mémoire juive, de professeurs. Et des Insoumis, bien plus soucieux du danger nazi que de la menace islamo-djihadiste. En atteste ce tweet obscène de Raquel Garrido : « donc au lendemain d’une manifestation dominée idéologiquement par l’extrême-droite, la question du jour c’est la réédition de Mein Kampf. Quel cauchemar! »
Jean-Luc Mélenchon en 2015, adressait déjà une lettre ouverte à Fayard. « Rééditer ce livre, c'est le rendre accessible à n'importe qui. Quelle utilité à faire connaître davantage les délires criminels qu'il affiche ? »
Alors que l’antisémitisme ressurgit, on peut l’entendre non ?
Croire qu’on va devenir nazi en lisant Mein Kampf, c’est le fétichiser, lui accorder un pouvoir quasi-magique. Or, n’importe qui peut l’acheter pour 36 euros chez l’éditeur qui a publié la première traduction française en 1934. On peut se procurer très facilement des éditions piratées circulant dans le monde arabe, comme les pamphlets antisémites de Céline par ailleurs. Ceux qui veulent être confortés dans leur haine des juifs ou leur admiration d’Hitler ne se payent pas une édition à 100 balles.
Mélenchon n’en voit pas l’utilité. Dans cet ouvrage écrit en prison entre 1923 et 1924, Hitler expose clairement son idéologie et son projet criminel. Pour quiconque veut comprendre le nazisme plutôt que d’agiter des croix en répétant « plus jamais ça », c’est un document d’un intérêt exceptionnel. Comme le journal de Goebbels. Ce refus de voir le mal témoigne d’une régression intellectuelle, c’est l’aboutissement ultime du politiquement correct. On cache le réel dès lors qu’il déplait. On pourrait s’inquiéter s’il devenait un best-seller. Mais les dangers de l’ignorance sont infiniment plus grands que ceux de la connaissance.